Tirer pleinement profit des indicateurs de rendement clés de l’IA grâce à Insilico
Invité : Alex Zhavoronkov, chef de la direction et fondateur, Insilico Medicine
Animateur : Brendan Smith, directeur, Outils de diagnostic et des sciences de la vie et analyste, Biotechnologie, TD Cowen
Brendan Smith, analyste du secteur des soins de santé à TD Cowen reçoit Alex Zhavoronkov, chef de la direction et fondateur d’Insilico Medicine pour discuter de la façon dont Insilico contribue à définir les plus importants indices de référence en matière d’efficacité et indicateurs de rendement clés en lien avec l’intelligence artificielle (IA) pour le développement de médicaments. Ensemble, ils discutent des difficultés auxquelles font face les investisseurs lorsqu’ils tentent d’évaluer la productivité relative et le profil concurrentiel des différentes plateformes d’IA. Ils abordent également l’importance pour les acteurs de l’IA de démontrer et de déclarer toute amélioration marquante de leur plateforme qui viendrait infléchir la courbe d’efficacité en matière de recherche et développement.
Ce balado a été enregistré le 24 juin 2025.
Audio :
Bienvenue à Insights de TD Cowen. Ce balado réunit des penseurs de premier plan qui offrent leur point de vue sur ce qui façonne notre monde. Soyez des nôtres pour cette conversation avec les esprits les plus influents de nos secteurs mondiaux.
Brendan Smith :
Bienvenue à la série de balados de TD Cowen intitulée « La médecine à l’ère des machines : l’IA et les soins de santé », qui présente les principaux enjeux dans l’évolution récente de l’IA et des soins de santé. Ici votre animateur, Brendan Smith, analyste du secteur des soins de santé pour TD Cowen. Aujourd’hui, je suis en compagnie d’Alex Zhavoronkov, fondateur et chef de la direction d’Insilico Medicine.
Alex, heureux de vous recevoir Et bienvenue à vous.
Alex Zhavoronkov :
Ça me fait plaisir d’être ici, Brendan.
Brendan Smith :
Pour les auditeurs qui nous découvrent, chaque épisode de notre balado « La médecine à l’ère des machines » cherche à expliquer simplement l’utilisation de l’intelligence artificielle en soins de santé, à déboulonner les principaux mythes et à replacer chaque élément dans le contexte global. Aujourd’hui, Alex et moi allons discuter des outils et des indicateurs de rendement clés (IRC) les plus importants que les sociétés comme Insilico développent comme moyens de plus en plus indispensables pour comparer différentes plateformes d’IA.
Alex, j’entre dans le vif du sujet. Vous et moi avons déjà parlé des difficultés auxquelles les investisseurs se butent souvent pour évaluer la productivité et l’efficacité relatives des différentes plateformes d’IA dans le secteur des soins de santé. Je sais que vous et votre équipe menez la charge pour ce qui est d’établir et de diffuser un éventail d’IRC précliniques. Vous soulignez qu’une plus grande transparence, surtout dans le développement préclinique de médicaments, est non seulement utile, mais franchement essentielle, compte tenu de l’évolution du secteur. Dites-moi d’abord quelles mesures il vous semble plus utile de diffuser et pourquoi Insilico a décidé de chiffrer le développement de médicaments par l’IA en s’inspirant plus ou moins du rendement du capital investi.
Alex Zhavoronkov :
Merci, Brendan. Je dois dire que TD Cowen a été l’une des premières sociétés à encourager les outils de comparaison dans notre secteur. J’ai été ravi de le constater dans certains rapports et lors de conférences. Merci.
Si je remonte à nos débuts, tout le secteur est né à peu près en même temps que l’apprentissage profond amorçait sa maturité et annonçait la superintelligence ainsi que la reconnaissance des images, du texte et de la voix. C’était en 2014 ou 2015. La phase générative est ensuite apparue. L’industrie était en effervescence. En fait, on a vu le jour à peu près en même temps. Bon nombre des sociétés de biotechnologie plus classiques se sont alors converties à l’IA pour la découverte de médicaments, tout comme l’ont fait d’anciennes sociétés d’apprentissage automatique ou de découverte de médicaments assistée par calcul. Le mouvement s’est généralisé.
À ce moment-là, pour les investisseurs, les employés et surtout les sociétés pharmaceutiques, il est devenu très difficile de comprendre qui était qui et comment les progrès se matérialisaient. Au début, je ne savais pas moi-même comment établir les comparaisons. On les faisait en fonction du nombre d’articles de recherche présentés lors des principales conférences sur l’IA, comme NeurIPS, du nombre de demandes de brevet en IA ou des démonstrations tangibles de la capacité de l’IA.
Peut-être deux, trois ou quatre ans plus tard, on s’est rendu compte, tout comme les investisseurs, que le temps filait, mais que les médicaments se faisaient attendre. Parce que, quand on lève des fonds et qu’on publie des articles sur l’IA, très souvent, on suppose que l’IA va accélérer la découverte de médicaments, faire baisser les prix et augmenter les chances de réussite. C’est comme ça qu’on voit les choses. Où sont les médicaments? Les investisseurs nous ont posé la question à peu près au même moment. Bien sûr, on a cherché à se justifier. Mais la question m’est restée en tête et on s’est rendu compte qu’on pouvait faire des miracles du point de vue préclinique et clinique, en plus de résoudre des problèmes très difficiles pour les sociétés pharmaceutiques. Alors, qu’est-ce qui nous empêchait?
Vers 2018, on a fait plusieurs démonstrations de faisabilité. Par exemple, l’un de mes ouvrages importants sur l’apprentissage par renforcement tensoriel génératif (GENTRL) soumis pour publication a montré qu’on pouvait synthétiser six molécules en 46 jours pour une cible donnée. Quatre ont fonctionné, une a été administrée à des souris au cours d’une étude pharmacocinétique de 46 jours, dont 21 jours consacrés au calcul. On s’est dit : « Wow, super. » L’article a été très médiatisé et aussi critiqué par des chimistes médicaux plus traditionnels parce que la cible n’était pas nouvelle. Ils disaient « la molécule est relativement facile à fabriquer et ressemble aux autres ». Mais la découverte de médicaments en était à ses débuts, un peu comme à l’étape où des chatons en reconnaissaient d’autres sur des photos. Mais la question posée par les investisseurs et les employés revenait : « Où sont les médicaments? » Cet article a facilité la levée de fonds.
Vers 2019 ou 2020, on s’est dit : « D’accord, on va maintenant déployer l’IA. » On voulait voir combien de temps il faudrait pour découvrir un médicament. Et il fallait établir nos propres comparaisons pour valider l’expérimentation. Je pense que ça ne s’était jamais fait avant. Nous-mêmes, on avait pris la décision à la suite de notre article dans Nature Biotechnology en 2019 sur l’apprentissage GENTRL. Il s’agissait maintenant de choisir un autre médicament à long terme. On voulait se pencher sur la question de la nouveauté et partir à zéro en prenant une nouvelle cible, une nouvelle molécule dans l’idée d’estimer le temps qu’il faudrait.
Et on a réussi à lever des fonds. Heureusement, c’était facile à ce moment-là. Par contre, on s’est montrés spartiates en se contentant de 37 millions. Aujourd’hui, on ne considère pas vraiment qu’il s’agit d’une série A pour une société de découverte de médicaments propulsée par l’IA. Ça nous a donné un bon coup de pouce, cette première levée de fonds. On a démontré qu’en 18 mois on peut passer de zéro à ce qu’on appelle une molécule candidate préclinique ou candidate au développement. Pour nous, ça revient au même.
Mais pour vous et vos auditeurs, voici un cours accéléré sur la découverte de médicaments si vous ne l’avez pas suivi ou n’avez pas fait d’études supérieures. La découverte d’un médicament s’amorce par la compréhension du mécanisme pathologique, la raison pour laquelle la maladie se produit, le repérage de ce qu’on appelle les cibles protéiques. En général, ces protéines sont à l’origine de la maladie ou y sont fortement associées. Il y en a beaucoup, mais il faut se limiter à une, deux ou trois – habituellement, une seule – parce que la FDA veut qu’on identifie un mécanisme facilement explicable. Il s’agit de valider la cible par l’expérimentation. Ensuite, on repère les molécules, les produits biologiques ou les anticorps qui désactivent la cible. On les teste alors à l’aide de différents modèles expérimentaux en utilisant des cellules ou des animaux. Après les études toxicologiques viennent les essais chez l’humain.
Le programme pour les molécules candidates précliniques ou candidates au développement comprend tout ce qui précède les études toxicologiques officielles, qui sont très coûteuses. Ces études vont déterminer les présentations de nouveau médicament de recherche (PNMR). Il faut alors mener des études toxicologiques conformes aux bonnes pratiques de laboratoire (BPL), habituellement chez deux espèces. Par exemple, des souris et des chiens, des chiens et des singes ou des souris et des singes, pour confirmer l’innocuité de la molécule. Ensuite, la FDA pourra vous autoriser à mener un essai clinique chez l’humain. Ces études d’innocuité sont très formelles et coûteuses. Elles durent en général de 9 à 12 mois. Une fois entamées les études préalables à la soumission d’une PNMR, l’utilisation de l’IA peut faire gagner un peu de temps, mais le principal gain se produit avant, à l’étape de la molécule candidate au développement. De plus, on ne peut pas modifier la molécule ou la cible après le début des études toxicologiques fondées sur les BPL. Les dés sont alors jetés.
Ça se joue au niveau de la molécule candidate au développement. L’approche traditionnelle prenait environ quatre ans et demi pour une cible nouvelle. On s’est demandés combien de temps il nous faudrait. Notre première expérience avec une nouvelle cible, une nouvelle molécule a pris 18 mois. On l’a publiée dans Nature Biotechnology, en expliquant comment on s’y était pris et en présentant de nombreuses expériences dans le cadre de ce programme préclinique. On a aussi compris que la qualité des molécules candidates au développement influençait la réussite du reste du programme. C’est primordial pour la vente. Il y a un marché pour ça. La vente peut avoir lieu n’importe quand, que ce soit à l’étape des molécules candidates au développement ou plus tard, à la phase I, à la phase II ou lors des études préalables à la soumission d’une PNMR. Il y a un marché. Plus le médicament est nouveau, plus il est difficile à vendre. Il faut prouver qu’il est très efficace. C’est pourquoi beaucoup d’entreprises visent toutes les cibles.
On a donc commencé à établir des comparaisons. On a mis 18 mois pour la première molécule, mais elle était trop nouvelle. Il fallait encore l’améliorer. On ne s’attendait d’ailleurs pas du tout à y parvenir. On a décidé de faire une comparaison pour voir combien de temps ça prendrait. Une fois désignée la molécule candidate préclinique, j’ai pu lever plus de fonds parce que les investisseurs ont bien vu qu’on avait réussi. Toute l’équipe était survoltée. On s’est rendu compte qu’on avait cette capacité. À ce moment-là, j’ai aussi contacté le cochef de la direction et chef des affaires scientifiques, un spécialiste de la découverte de médicaments à grande échelle. Il a déjà travaillé pour une organisation de recherche contractuelle et, auparavant, pour les géants pharmaceutiques, après des projets d’études supérieures à Harvard. À partir de cette première expérience, on a cherché à mettre au point un modèle évolutif qui permettrait de développer plusieurs molécules. En 2022, on avait neuf molécules candidates précliniques, le plus grand nombre que j’avais jamais désigné.
Ensuite, on a dû ralentir, non pas par manque de capacité, mais en raison des ressources. L’argent est le nerf de la guerre en biotechnologie. L’argent est le nerf de la guerre en biotechnologie. On ne peut pas mener de front 100 programmes; il faut en vendre un certain nombre pour qu’ils soient viables. C’est particulièrement difficile dans le cas des molécules très nouvelles. Après en avoir désigné neuf, on a voulu comparer les temps. À ce moment-là, on a établi notre premier record : neuf mois pour une molécule candidate au développement dans le cas d’une cible modérément nouvelle, l’enzyme QPCTL, désignée avec un partenaire. Notre délai le plus long demeurait de 18 mois, avec une moyenne de 13 mois.
Aujourd’hui, en 2025, on dispose de 22 molécules candidates au développement. Dix sont à l’étape des essais cliniques chez les humains et une a terminé la phase IIA. On parle donc de sécurité et d’efficacité pour les patients. L’étude visait à évaluer la sécurité, mais l’efficacité nous a étonnés, même si elle était modeste. C’est bon signe. On doit l’élargir, mais ce qu’il faut retenir c’est qu’en cinq ans on a réussi à développer de nombreux médicaments efficaces nouveaux ou modérément nouveaux qui ont atteint l’étape des essais cliniques chez l’humain.
Or, si une société d’IA soutient qu’elle peut produire des médicaments plus rapidement, à moindre coût et avec de meilleures chances de réussite, il suffit de lui demander combien elle possède de molécules candidates précliniques. Combien de temps lui faut-il pour en développer une? Combien de molécules synthétise-t-elle? Combien ça coûte? Je peux répondre à ces questions. Et si son IA est meilleure que la mienne, je vais l’essayer. Mais la question de savoir comment évaluer les résultats des plateformes d’IA est très claire. On est tous des sociétés de biotechnologie. On peut s’en vanter tant qu’on veut, mais tout ce qui compte finalement, c’est la productivité de l’équipe, de la plateforme. Et on a des outils de comparaison. Avant, les sociétés de biotechnologie traditionnelles avaient quatre, cinq ou six molécules en développement et on s’intéressait habituellement à la première ou peut-être aux deux premières. On peut maintenant lancer de très nombreux programmes à une vitesse record en misant sur une excellente qualité parce qu’on peut aussi les vendre.
Brendan Smith :
Oui. Vous touchez beaucoup de points très importants, en particulier en ce qui concerne la compréhension et peut-être le manque de compréhension chez tout un pan du milieu des placements en général. Souvent certains investisseurs disent sur une note discordante que les sociétés de soins de santé et les développeurs de médicaments axés sur l’IA vont toujours être dissuadés de divulguer certains IRC. Compte tenu de la surveillance, ça peut amener les pairs à une certaine ouverture, ce qui, de toute évidence, va à l’encontre de l’idée de comparer les progrès des différentes plateformes.
Au final, croyez-vous que le milieu est rendu au point où la réaction négative, le fait de ne pas pouvoir soutenir la concurrence par rapport à certains IRC, peut l’emporter sur l’avantage de convaincre les investisseurs potentiels des résultats obtenus? Ou en est-on à dire « il faut nous montrer et nous permettre de comprendre ce que vous faites, comment vous vous démarquez ». Les entreprises seraient-elles rendues à ressentir la pression de prendre un pas de recul?
Alex Zhavoronkov :
C’est une bonne question. Je pense que les outils de comparaison ennuient les journalistes, les investisseurs et les entreprises. On préfère les histoires accrocheuses. Je pense aujourd’hui à SpaceX. J’admire SpaceX à bien des égards. Son dirigeant a établi la norme et a montré comment agir dans le domaine de la découverte de médicaments axée sur l’IA. Parce que, si on sait comment faire, il ne faut pas hésiter à lancer ses propres fusées en orbite. Si on travaille sur le prochain Starship, il faut s’assurer que Falcon peut supporter la charge utile en tout temps. Aujourd’hui, croyez-le ou non, les médias n’écrivent même plus sur les lanceurs Falcon, tellement les lancements sont devenus monnaie courante. C’est la même chose pour nous. Avant, quand on soumettait un médicament à des essais cliniques chez l’humain, tous les médias s’agitaient. L’un de nos médicaments a fait la une du Financial Times en début de phase II parce qu’il était généré par l’IA. C’était une première, du jamais-vu. L’innovation était partout.
Mais quand tout ça devient monnaie courante, on se demande vers quoi tourner son attention. Les grands médias parlent de la publication d’un modèle de base qui a débouché sur la production d’un nombre effarant de nouvelles structures ou molécules. Et maintenant, ce modèle s’étend aux gènes, aux protéines. On peut suivre cet exemple. Mais il faut pouvoir procéder au lancement et amener la charge utile en orbite. Et en raison du battage médiatique et du très petit nombre d’investisseurs, de banques d’investissement, d’analystes et de journalistes qui suivent ce créneau, le grand public et le milieu des généralistes ne prêtent pas attention aux outils de comparaison. Ils préfèrent les histoires accrocheuses. Les outils de comparaison ennuient. Mais aujourd’hui, si on fait la comparaison dans le domaine spatial, quelle charge utile SpaceX a-t-il amenée en orbite? On peut critiquer Elon tant qu’on veut, mais je pense qu’il dépasse bien des pays.
À l’heure actuelle, la plupart des pays n’ont jamais découvert ni mis sur le marché de nouveaux médicaments. Ils ont d’énormes capitaux et investissent dans la R-D. Certains pays très avancés que je ne vais pas nommer contribuent même à la découverte de nombreux médicaments. Mais nommez-moi pour une nouvelle cible une nouvelle molécule qui a atteint le stade des essais cliniques chez l’humain. Le travail est très difficile et fastidieux.
Pour le principe, mais aussi pour prouver notre argument – puisqu’on est très dispersés géographiquement (on s’est installés récemment, par exemple, à Abu Dhabi) – on compte sur 60 employés, mais je veux montrer qu’avec quatre personnes sur place, je peux découvrir un nouveau médicament dans un certain laps de temps. On fait des comparaisons locales et on tente d’expliquer qu’avec l’IA on n’a pas besoin d’investir massivement dans des infrastructures. Il suffit de quatre personnes. On vérifie si ça fonctionne. Le déploiement mondial permet d’externaliser beaucoup d’activité de validation. Mais la découverte, la conception elle-même se fait dans le pays.
Si on arrive à prouver que les outils de comparaison fonctionnent pour un pays qui n’a jamais aspiré à découvrir des médicaments novateurs, l’entreprise étant jugée trop complexe, trop novatrice, trop difficile, on pourrait en faire profiter d’autres nations. Mais pour que ça se fasse dans la région, il faut aussi pouvoir vendre le médicament. La découverte, le développement et la vente à l’échelle locale vont certainement retenir l’attention.
Maintenant, on doit aussi créer des outils de comparaison locaux. Mon plus grand problème dans la vie, c’est le vieillissement. C’est aussi le vôtre. Personne n’y échappe. La plupart de nos besoins sont déjà comblés. Je ne sais pas pour vous, mais, moi, je suis très satisfait de ce que j’ai. Je veux simplement vivre plus longtemps et profiter de l’avenir. À l’heure actuelle, si on compte simplement sur les États-Unis, quelques pays européens, la Chine et le Japon, on n’ira pas aussi loin que si le monde entier apporte sa contribution. L’IA va démocratiser la découverte de médicaments et je pense qu’il faut aussi établir des outils de comparaison locaux.
Brendan Smith :
Oui. Vous touchez de nombreux points importants. En particulier, distinguer l’essentiel de l’accessoire, comprendre non seulement la répartition géographique des outils de comparaison, mais aussi les effets de la divulgation de renseignements sur le développement interne et, à vrai dire, sur l’ensemble du secteur. Dans certaines conversations avec les investisseurs, on sent cette idée, en particulier dans un contexte de rareté des capitaux, que l’utilisation de l’IA pour réduire les coûts et gagner du temps est une bonne chose, même si, évidemment, certains y parviennent mieux que d’autres.
Mais du point de vue de l’évaluation, vous touchez beaucoup de points. Selon vous, qu’est-ce que les investisseurs, en particulier, doivent vraiment garder à l’esprit en évaluant différents outils de comparaison, différentes plateformes? Bref, qu’est-ce qu’ils sous-estiment peut-être à propos de la situation actuelle du secteur sous cet angle?
Alex Zhavoronkov :
C’est une bonne question. Ils sous-estiment à quel point l’IA est déjà avancée. Dans ce délai de 18 mois qui me permet d’amener un nouveau médicament complexe et novateur au stade de candidat au développement – et je peux le faire plus rapidement si le degré de nouveauté est moindre – le volet computationnel prend peut-être trois semaines ou même moins. On synthétise habituellement de 60 à 200 molécules par cycle maintenant. Et toutes ces molécules semblent généralement bonnes.
J’ai déjà fait cette analogie : imaginez que vous voulez vous marier, mais que toutes les candidates sont issues du concours Miss Univers, ou l’équivalent pour les hommes, Mr. Olympia. On a l’embarras du choix. C’est pourquoi on synthétise autant de molécules dont les propriétés sont légèrement différentes ou très différentes. Mais elles sont excellentes. Aujourd’hui, au lieu de chercher une aiguille dans une botte de foin, on produit une multitude d’aiguilles parfaites. Pour choisir la meilleure, la sélection ne se ramène pas au temps de calcul, qui est très court. Bien sûr, il y a des limites à ce qu’on peut faire; on ne comprend pas encore très bien l’aspect biologique. Mais du point de vue de la chimie, de la conception des anticorps, on approche de capacités computationnelles très élevées.
En ce moment, avec les membres de mon équipe, je travaille sur ce que j’appelle la superintelligence pharmaceutique; c’est ce que je leur dis pour les motiver. Je parle de SIP, ou SIP-1 actuellement. Et je donne habituellement un exemple. Vous connaissez probablement Suno AI, un générateur de musique qui permet de créer de très belles mélodies et d’y ajouter des paroles. Il peut même chanter à votre place. On a le choix entre de nombreuses chansons, toutes excellentes. En général, il faut moins d’une minute par composition. Je veux aborder la découverte de médicaments avec autant d’efficacité grâce aux capacités computationnelles.
Par exemple, dans son profil, le patient peut présenter un cholangiocarcinome, une mutation tumorale spécifique. Il s’agit ensuite de développer un médicament. En quelques minutes ou un jour à peine, on détermine une cible et on met au point un médicament. Et, dans neuf mois, on pourra proposer une molécule candidate au développement, parce qu’il reste à réaliser la synthèse et les tests. On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs – le domaine est très réglementé. Et j’aimerais beaucoup que la FDA, peut-être au niveau supérieur, nous considère de manière moins disparate, qu’elle examine certains programmes de bout en bout de façon très uniforme, complète et cohérente et dise « c’est le moment d’accélérer le processus afin de voir où le cadre réglementaire peut être simplifié, mais aussi où il doit être resserré. » Dans certains domaines, il faut le resserrer.
Les investisseurs et le grand public ne se rendent pas compte que la découverte de médicaments axée sur l’IA est déjà très avancée sur certains aspects. Elle gagne maintenant les domaines plus complexes. Mais ce n’est pas très évident actuellement en raison du besoin de validation, qui demande plusieurs années. L’IA progresse beaucoup plus rapidement que prévu. Le développement d’un produit logiciel prêt à l’utilisation prend maintenant moins de six mois. On arrive maintenant à produire un prototype en un mois et à le valider en partie. Mais pour fabriquer un médicament à partir de zéro, il faut au moins cinq ans pour atteindre la phase II en utilisant sa propre molécule chimique. Et ce ne sera peut-être même pas suffisant. On suppose aussi que tout se fait en Chine, où les essais précliniques sont très efficaces, et même les premières étapes cliniques s’y déroulent très rapidement. Dans d’autres pays, ça prend plus de temps pour diverses raisons. De plus, la population est très petite pour réaliser des essais cliniques aux premiers stades.
Aussi, on se fait une fausse idée de la valeur d’une plateforme d’IA. Cette valeur diminue en un an. D’un certain point de vue, après la validation, la valeur est là si on démontre que le modèle fonctionne très bien, de façon uniforme et qu’on compte sur de nombreux lancements, des outils de comparaison précliniques et cliniques. Mais en même temps, quelqu’un d’autre travaille déjà sur quelque chose de mieux. Il faut s’assurer que le modèle à l’étude et déjà validé est viable sur le plan commercial. Cette vache dont on prend grand soin doit donner du lait et, idéalement, il faut en avoir plusieurs. Mais, ça se voit très rarement. On insiste trop sur l’algorithme et la promotion du modèle ou de la technologie, ou sur les médicaments et les traitements en ignorant complètement la plateforme. Il est très difficile de trouver l’équilibre.
D’ailleurs, si j’étais un investisseur et que je m’intéressais à une société de découverte de médicaments axée sur l’IA, je n’accorderais aucune valeur à la plateforme. Je partirais du principe qu’elle est gratuite. Et je demanderais à voir comment cette entreprise peut faire mieux que... Bon, la plateforme n’est pas vraiment gratuite, mais disons que la plupart de mes outils logiciels sont disponibles sur le marché. Une société de biotechnologie peut les acheter. On peut se les procurer pour... Sans donner un prix exact, disons qu’un million de dollars permettraient d’en acquérir un bon nombre. Si je ne suis pas meilleur qu’Insilico, je devrais peut-être simplement investir un million de dollars, sachant que ma plateforme vaut moins que ça. Ou si je suis meilleur qu’Insilico, je devrai compter sur 22 molécules candidates au développement et des articles de recherche examinés par des pairs. Je veux aussi en vendre quelques-unes pour en vanter la qualité. J’ai trouvé un acheteur. Idéalement, il vaut mieux atteindre l’étape intermédiaire des essais cliniques et prouver l’innocuité et l’efficacité des molécules. Les outils de comparaison sont donc très importants pour la découverte de médicaments. La valeur de la plateforme repose sur la capacité de produire ces médicaments rapidement, à moindre coût et avec de meilleures chances de réussite.
Brendan Smith :
Là encore, ça nous ramène aux outils de comparaison. Vous avez aussi souligné quelque chose d’essentiel à retenir : ces outils de comparaison ne sont pas statiques. Si on conçoit une plateforme d’IA qui fonctionne, comme vous l’avez dit, elle devrait s’améliorer avec le temps. Elle devrait évoluer. En théorie, les outils de comparaison d’aujourd’hui ne peuvent pas être pires demain. On doit pouvoir en faire le suivi et avoir une meilleure idée du point de départ en 2025, mais aussi de l’évolution réelle dans le temps. Ça témoigne des capacités issues du travail accompli et de ce qu’elles permettront de faire en bout de piste.
Je vous ai entendu utiliser cette analogie. Souvent, ça va au-delà de l’aperçu. En réalité, c’est une vidéo et, bien souvent, un jeu vidéo dans lequel on s’incarne. À bien des égards, c’est une analogie très puissante pour l’évolution de cette technologie. J’ai une dernière question pour vous. Mais, avant de conclure, compte tenu du nombre d’outils que vous pouvez proposer ou divulguer pour comparer différentes capacités, y a-t-il une certaine hiérarchie entre ceux qui, selon vous, sont un peu plus importants ou que vous surveillez? Devant de nouvelles plateformes, vous dites-vous qu’une telle doit être très concurrentielle ou que certaines autres sont intéressantes, mais qu’il y en a une sur deux qui doit se différencier nettement, sinon vous perdez votre temps? Pensez-vous de cette façon? Ou est-ce une façon dépassée de voir les choses?
Alex Zhavoronkov :
Tout à fait. Je dirais qu’il existe des outils de comparaison de base. On les associe à une cible modérément nouvelle ou très nouvelle. Combien de temps faut-il pour produire une molécule candidate au développement, qu’il s’agisse d’une petite molécule ou d’un médicament biologique? Combien de molécules faut-il synthétiser? Ou combien faut-il investir dans les produits biologiques? Quelles sont les chances de réussite à l’étape des PNMR? Combien de molécules candidates précliniques ont atteint les essais cliniques? Et combien d’études préalables à la soumission d’une PNMR ont abouti à un échec? Jusqu’à maintenant, je n’ai subi aucun échec. C’est l’aspect intéressant. Ensuite, si on regarde les outils de comparaison cliniques, la plupart des entreprises n’en sont pas encore là.
Le deuxième volet très important qu’on tente maintenant de mettre de l’avant pour les outils de comparaison porte sur le niveau de complexité biologique et pathologique, vu les données très limitées qui sont disponibles. Auparavant, on s’intéressait surtout à l’oncologie parce que le domaine fournit rapidement une démonstration de faisabilité. Beaucoup de données sont disponibles. On s’attaquait également aux maladies chroniques complexes en s’appuyant sur des données longitudinales. Maintenant, on augmente le niveau de complexité. Et je ne sais pas combien de temps ça va prendre, mais actuellement, on cible la douleur. La douleur, c’est compliqué. Surtout si on s’intéresse aux non-opioïdes sans bien comprendre le mécanisme, les voies des récepteurs.
Actuellement, j’ai certaines molécules... sur lesquelles je ne vais rien vous apprendre de neuf ici, comme j’ai déjà indiqué. L’une d’elles est plus efficace que la morphine. En ce moment, je cherche à l’optimiser. Je ne sais pas si je peux y arriver, parce qu’elle est déjà plus efficace que la morphine en administration péridurale ou intranasale. Elle ne pénètre pas la barrière hémato-encéphalique. Maintenant, j’essaie d’optimiser la molécule pour qu’elle franchisse cette barrière en toute sécurité grâce à l’administration chronique. Mais on a démontré à l’interne... À l’heure actuelle, les données ne sont pas publiées, mais j’en ai parlé. Dans certaines expériences, les animaux ont moins de douleur qu’avec la morphine. Le médicament ne crée probablement pas de dépendance; il n’affecte aucune des voies qui y sont associées.
On s’intéresse aussi aux processus biologiques, comme la perte ou le gain musculaire. Imaginez qu’une pilule puisse remplacer l’exercice. Ce serait bien, non? Je n’aime pas vraiment faire de l’exercice, mais c’est l’un des rares moyens de lutter contre le vieillissement. Et c’est bien dommage, depuis le temps que l’humain cherche à contrer ce processus biologique. Heureusement, les médicaments GLP-1 ouvrent une voie d’approbation et ils sont très populaires parce qu’ils induisent la fonte musculaire. C’est un effet des médicaments GLP-1. Et ils ne sont pas d’une grande utilité si on est déjà en forme. Mais si on veut en faire plus, on peut prendre des médicaments qui favorisent la fonte musculaire pour prévenir la sarcopénie, en particulier chez les personnes âgées, on peut aussi augmenter la masse musculaire en général et améliorer probablement la fonction cardiovasculaire.
On vise un niveau de complexité plus élevé, de nouvelles cibles, de nouvelles molécules. On doit maintenant élaborer des normes de sécurité totalement inédites et extrêmes. Lorsqu’on s’attaque aux maladies chroniques et au vieillissement, il faut que la molécule soit bénéfique, mais aussi qu’elle évite les effets secondaires. Tous les effets médicamenteux doivent être bénéfiques pour le patient, ne pas lui nuire. Je travaille maintenant aussi sur les organoïdes en proposant une nouvelle modélisation de l’IA pour relever encore le niveau de sécurité. Malheureusement, il faut simuler le monde entier pour y parvenir. Mais, avec les ressources actuelles, on tente d’y arriver et on commence à établir des outils de comparaison très utiles pour les maladies chroniques.
Maintenant que j’ai établi mon lanceur Falcon 9, il s’agit d’assembler mon vaisseau Starship. Ce vaisseau devrait nous amener au niveau supérieur en matière de biologie et d’innovation; il est très difficile de faire mieux que neuf mois pour une molécule candidate au développement. Pourtant, on a montré que c’est possible. Si j’y arrive en cinq mois, quatre mois ou trois mois, ça ne change pas grand-chose, puisqu’il me faut habituellement beaucoup plus de temps pour vendre un médicament à une société pharmaceutique que pour le découvrir et l’amener à un certain niveau de développement. Aujourd’hui, on doit élever le niveau d’innovation et mieux comprendre la complexité de la biologie humaine; c’est la clé du vieillissement.
Brendan Smith :
C’est fantastique. Encore une fois, on a abordé beaucoup de sujets captivants aujourd’hui. Je suis sûr qu’on va poursuivre cette conversation dans un avenir prévisible. Avant de vous laisser partir, il y a une chose que je demande à tous mes invités. Et c’est particulièrement émouvant aujourd’hui, compte tenu de tout ce dont on a parlé. Si notre discussion échappe complètement à un auditeur, mais qu’il s’est tout de même accroché jusqu’à maintenant, quel point essentiel aimeriez-vous qu’il retienne?
Alex Zhavoronkov :
Eh bien, si vous êtes toujours à l’écoute, avant de paniquer, vous devez comprendre que l’humain aime se faire accroire que l’essentiel est ailleurs. On trouve tous des distractions pour repousser l’idée de la mort. Personne n’aime y penser. L’idée dérange. Et avant de mourir, si le décès n’est pas brutal ou prématuré, on s’éteint progressivement. Cette déchéance est toujours confrontante. On se croit en bonne santé, mais on fonctionne peut-être à 50 % de notre capacité par rapport à la force de l’âge. On n’y échappe pas. Et à la fin, on est emporté par la maladie ou un événement extrême. Et c’est toujours souffrant, à moins de forcer la dose de médicaments ou quelque chose du genre. Je ne le recommande pas non plus.
Le vieillissement est donc notre pire ennemi. Ce n’est pas la Chine, le Moyen-Orient ou un mal-aimé dans son propre pays. C’est le vieillissement. Il faut se regrouper, se battre ensemble, déployer des ressources, collaborer, ouvrir les frontières. Les pays du monde entier doivent pouvoir se joindre à la lutte. Il faut raconter cette histoire à nos proches comme aux mal-aimés afin de maximiser les années de vie pondérées par la qualité pour toute la planète. La quête ultime du bien réside dans la volonté de maximiser ce nombre d’années de vie sur la planète.
Si quelqu’un met au point un médicament qui prolonge d’un an l’espérance de vie partout sur la planète, on parle d’environ 8,2 milliards d’années. C’est plus de 170 millions de vies. L’altruisme le plus noble. Mais ce n’est jamais l’affaire d’une seule personne. Ça prend une équipe. Et malheureusement, d’après ce que je vois maintenant, le monde est de plus en plus fracturé. Les émotions prennent le dessus, attisées par le sensationnalisme. Il faut serrer les dents, travailler sans relâche et collaborer, parce qu’on risque d’être la première génération – ou la dernière – à vivre une vie très longue, belle et en santé.
Brendan Smith :
Voilà un appel direct à l’action comme je n’en ai jamais entendu. Merci beaucoup d’avoir abordé avec nous cet aspect très important de l’évolution de l’IA. Je suis certain qu’on aura bien d’autres discussions à propos de ces mesures dans les semaines et les mois à venir. Merci encore d’avoir été des nôtres, Alex.
Alex Zhavoronkov :
Merci de m’avoir invité. TD Cowen fait un travail incroyable. On peut se souhaiter de collaborer. En attendant, je lis avec grand intérêt vos analyses.
Brendan Smith :
Ça fait toujours plaisir à entendre! Merci beaucoup.
Alex Zhavoronkov :
Merci.
Audio :
Merci d’avoir été des nôtres. Ne manquez pas le prochain épisode du balado Insights de TD Cowen.
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Directeur, Outils de diagnostic et des sciences de la vie et analyste, Biotechnologie, TD Cowen
Brendan Smith
Directeur, Outils de diagnostic et des sciences de la vie et analyste, Biotechnologie, TD Cowen
Brendan Smith
Directeur, Outils de diagnostic et des sciences de la vie et analyste, Biotechnologie, TD Cowen
Arrivé à TD Cowen en 2019, Brendan Smith couvre les outils de diagnostic et des sciences de la vie et le secteur de la biotechnologie. Il est titulaire d’une maîtrise ès arts, d’une maîtrise en philosophie et d’un doctorat en philosophie de l’Université Columbia.