Réorganisation du marché mondial du gaz

4 avril 2022 - 5 minutes

L’Europe peut-elle poursuivre son chemin sans l’approvisionnement russe en gaz? Nous examinons les répercussions que la guerre entre la Russie et l’Ukraine a sur l’offre mondiale de gaz et les options qui existent pour continuer de répondre à l’offre et à la demande.

Plan extérieur d’une usine de traitement de gaz naturel liquide.
La guerre actuelle en Ukraine a mis en lumière la dépendance excessive de l’Europe à l’égard du gaz naturel russe, et les dirigeants mondiaux cherchent de quelle façon y remédier. Le plan REPowerEU de l’Union européenne (UE), les sanctions qui perturbent le commerce mondial et la possibilité que la Russie interrompe son approvisionnement en gaz sont tous des facteurs de risque qui peuvent modifier radicalement le paysage gazier mondial.

Une grande partie de ce plan consiste à se tourner vers le marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL). Toutefois, des contraintes sur ce marché peuvent limiter la faisabilité de ces plans à court terme. Tout porte à croire qu’en raison notamment de difficultés sur le plan de la capacité d’importation de l’Europe et de l’aptitude des fournisseurs mondiaux à trouver des façons d’accroître ou de réacheminer leur approvisionnement, l’Europe aura du mal à pallier immédiatement les perturbations du ravitaillement russe et risque d’être confrontée à des prix structurellement plus élevés pouvant persister pendant des années.

Il convient de noter que l’action des cours sur les marchés nord-américains a été plus modeste en raison de la guerre actuelle et des risques croissants liés à l’offre. Comme la demande en GNL a déjà atteint son plafond, le mécanisme de suivi des prix mondiaux aux États-Unis a déjà largement suivi son cours. Toutefois, le fait que l’Europe délaisse la Russie au profit d’une offre mondiale de GNL peut certainement créer un contexte plus favorable aux États-Unis pour accroître la capacité future d’exportation de GNL.

L’Europe peut-elle poursuivre son chemin sans l’approvisionnement russe?

Fondamentalement parlant, la quantité de gaz que l’Europe reçoit de la Russie n’a pas beaucoup changé depuis avant la guerre. Toutefois, les risques sont nombreux.

D’abord, le débit du gazoduc Yamal-Europe (dont le tracé s’étend de la Russie à la station de Mallnow, en Allemagne, en passant par la Pologne) a pratiquement cessé depuis la mi-décembre. Et bien que cette situation dure depuis des mois, plus elle perdure, plus il devient impératif que l’Europe trouve une façon de compenser ce manque pour éviter de créer des tensions supplémentaires sur les marchés. D’un autre côté, les sanctions imposées à la Russie et l’interruption des travaux sur le gazoduc Nord Stream 2 pour une durée indéterminée n’ont pas eu de répercussions immédiates sur les débits gaziers. En effet, il était peu probable que ce gazoduc soit opérationnel avant le deuxième ou le troisième trimestre de 2022 en raison de revers réglementaires essuyés lors de la construction. Or, il ne fait aucun doute que les sanctions auront bel et bien des répercussions sur les attentes d’approvisionnement pour cet été et au-delà, comme cet approvisionnement avait déjà été intégré aux prévisions des analystes.

À l’inverse, le Nord Stream 1 est demeuré opérationnel comme à l’habitude tout au long du conflit, même si Alexander Novak, ancien ministre de l’Énergie et vice-premier ministre par intérim de la Russie, a menacé d’interrompre l’approvisionnement.

Enfin, l’approvisionnement dont le tracé traverse l’Ukraine jusqu’au point d’entrée de Velke-Kapusany, en Slovaquie, s’est maintenu jusqu’à maintenant, mais nous considérons qu’il est le plus à risque d’être exposé à des perturbations, surtout vu la possibilité que les infrastructures soient endommagées par la guerre qui fait rage au pays.

Cela dit, le plan de l’UE prévoit une augmentation des importations de GNL de l’ordre de 50 milliards de mètres cubes (environ 6,5 milliards de pieds cubes par jour) d’ici la fin de 2022 pour pallier les perturbations du ravitaillement russe. De plus, selon les données récentes sur le débit des gazoducs, si la Russie prenait des mesures de rétorsion et interrompait tous ceux provenant de Mallnow, du Nord Stream 1 et de Velke Kapusany, le nombre à compenser serait plus près de 9 milliards de pieds cubes par jour.

Le présent article est un extrait de notre rapport complet sur l’approvisionnement mondial en gaz. Les clients abonnés peuvent le lire sur notre portail Market Alpha Research

La capacité d’importation du GNL suffira-t-elle pour compenser les perturbations de l’approvisionnement russe?

En matière de capacité d’importation, l’Europe peut envisager une regazéification de près de 20 milliards de pieds cubes par jour (Gpi³/j) grâce aux infrastructures disponibles dans le nord-ouest de l’Europe, en Italie et en Espagne. Les importations actuelles de GNL dans ces régions se situent autour de 12 Gpi³/j, ce qui laisse une capacité excédentaire théorique de 8 Gpi³/j. Toutefois, de cette capacité inutilisée, près de 4 Gpi³/j se situent en Espagne, le plus important importateur de GNL en Europe. Et comme le pays a de sérieuses contraintes pour ce qui est de l’interconnectivité de ses gazoducs avec le reste de l’Europe, cela réduit considérablement sa capacité à jouer un rôle clé dans la compensation des perturbations de l’approvisionnement russe. Cela dit, si l’on regarde uniquement le nord-ouest de l’Europe et l’Italie, la capacité d’importation chute à environ 13,5 Gpi³/j, les importations actuelles s’établissant à près de 9 Gpi³/j (contre 11,5 en janvier 2022). Cela signifie que la marge de capacité excédentaire est bien moins importante encore, jetant un voile sombre sur la capacité de l’Europe à compenser un arrêt complet du ravitaillement russe et à atteindre la cible de 50 Gpi³ établie par l’UE. La bonne nouvelle, c’est que cela devrait suffire pour compenser une perturbation des débits gaziers en Ukraine, le cas échéant.

L’autre problème est la disponibilité réelle des ressources que l’Europe peut importer. En raison de la forte demande de l’Europe durant l’hiver, les États-Unis ont vu leurs exportations frôler la pleine capacité, tandis que leur capacité à exporter du GNL a augmenté au début de l’année, à mesure que de nouveaux projets devenaient opérationnels.

De plus, l’Europe a déjà acheté près de 60 % des stocks américains de GNL. Les livraisons restantes sont liées à des contrats à long terme avec des acheteurs moins sensibles aux fluctuations des prix, ce qui réduit la probabilité que d’autres livraisons puissent avoir lieu. Le Qatar et d’autres fournisseurs ont également connu des difficultés d’augmentation ou de réacheminement de leur approvisionnement à court terme. Plus de 70 % de l’approvisionnement en GNL fait déjà l’objet de contrats à long terme avec l’Asie, le Moyen-Orient et d’autres pays pour leur permettre de répondre à leurs propres besoins intérieurs. L’Europe n’aura d’autre choix que d’accepter de payer un prix plus élevé si elle veut pouvoir s’approvisionner à des sources qui n’ont pas déjà été promises sous contrat et qui peuvent être réacheminées. Mais même si elle se tournait vers cette option, il n’y a aucune garantie que le GNL disponible lui soit effectivement livré, car la concurrence avec l’Asie sera féroce.

Un sacrifice à court terme pour des gains à long terme?

En ce qui concerne les stocks en Europe, le taux de stockage de gaz est actuellement de 26 %, n’ayant atteint 90 % que quatre fois au cours des dix dernières années. Compte tenu de l’approvisionnement déjà restreint et des contraintes notées à la compensation des perturbations du ravitaillement russe en GNL, il est peu probable que les stocks atteignent la cible de 90 % établie par l’UE d’ici l’hiver prochain, à moins de jouir d’une température particulièrement clémente ou de devoir payer des prix considérablement plus élevés.

Bien que nous ne voyions pas d’un œil très optimiste la possibilité de compenser l’approvisionnement russe à court terme, la proposition pourrait fonctionner sur plusieurs années. Par exemple, la construction de nouvelles infrastructures de GNL aux États-Unis au cours des dernières années a permis à l’Europe de réduire sa dépendance à l’approvisionnement russe de 50 % en 2019 à environ 25 % aujourd’hui. De toute évidence, la tâche serait beaucoup plus facile si la capacité des gazoducs en Europe était améliorée, que de nouvelles infrastructures de regazéification y étaient construites et que les États-Unis disposaient d’une plus grande capacité d’exportation de GNL. Toutefois, même si ces échéanciers étaient devancés et que le marché était attrayant, les projets ne seraient pas viables avant 2024 ou 2025, ce qui donne à penser que les perturbations de l’approvisionnement russe devraient maintenir les prix du gaz élevés, voire les faire grimper encore plus.

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 Portrait de Ryan McKay


Stratège, Produits de base, Valeurs Mobilières TD

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