Voix hors champ 1 :
Bienvenue à Insights de Cowen. Ce balado réunit des penseurs de premier plan qui offrent leur éclairage et leurs réflexions sur ce qui façonne notre monde. Soyez des nôtres pour cette conversation avec les esprits les plus influents de nos secteurs mondiaux.
Yaron Werber :
Merci de vous joindre à un autre épisode captivant de notre série de balados Comprendre la biotechnologie. Ici Yaron Werber, analyste en biotechnologie pour TD Cowen. Je suis très heureux d’être en compagnie de mon ami de longue date, ancien collègue et concurrent, Ron Renaud. Dans cet épisode de « Mener les sociétés de biotechnologie vers la réussite », Ron va raconter comment il est devenu entrepreneur, chef de la direction, président et leader en biotechnologie. Ron est président et chef de la direction de Kailera Therapeutics. Auparavant, il a été président et chef de la direction de Cerevel Therapeutics, société qu’il a dirigée jusqu’à son acquisition par AbbVide en 2024. Précédemment, il a été associé chez Bain Capital Life Sciences. Si on remonte encore, il était président et chef de la direction de Translate Bio à l’issue de son acquisition par Sanofi en 2021. Ron a également été président et chef de la direction d’Idenix Pharmaceuticals à la suite de son acquisition par Merck. Plus tôt dans sa carrière, il a travaillé comme analyste de recherche sur les actions en biotechnologie chez JP Morgan, Schwab Soundview et Bear Stearns.
En début de carrière, Ron a aussi occupé plusieurs postes chez Amgen à la recherche clinique, aux relations avec les investisseurs et aux finances. Ron, c’est un plaisir de vous recevoir. Merci de votre présence. On se connaît depuis plus de 20 ans. À l’époque, on faisait nos débuts comme analystes côté vente et on ne s’est jamais perdus de vue. Vous avez quitté pour le poste de chef des finances et chef de l’exploitation à Idenix, une société que l’on suivait et que vous avez largement contribué à relancer avant son acquisition par Merck. Ensuite, vous êtes passé chez Translate. On a déjeuné ensemble peu après votre arrivée dans l’entreprise. C’était une plateforme incroyable. L’orientation était plus ou moins précise et il y avait des défis, mais vous avez redressé la situation, mis sur pied une nouvelle stratégie, une nouvelle plateforme technologique, et mené la société à bon port jusqu’à son acquisition. Et puis, bien sûr, la société Cerevel s’est avérée une belle aventure. Merci beaucoup de votre présence. J’apprécie.
Ron Renaud :
Merci beaucoup, Yaron. J’ai la chance de vous connaître depuis des décennies. On est des concurrents, mais surtout des amis. Merci de me recevoir.
Yaron Werber :
On est tous les deux de fervents partisans de Boston, alors ça facilite les choses.
Ron Renaud :
Tout à fait.
Yaron Werber :
Les sujets de discussion ne manquent pas. On va parler de leadership. On va parler des apprentissages clés des deux côtés du métier. On va parler de stratégie et voir comment mener une société vers la réussite. Je commence par Kailera. Vous étiez associé chez Bain Capital et avez fait le saut chez Kailera dès sa fondation dans le cadre d’un financement de série A de 400 millions de dollars à la fin de l’année dernière. On parle d’une nouvelle société de biotechnologie au stade avancé parmi les plus prometteuses dans le domaine de l’obésité. Quel était votre intérêt? Pourquoi avez-vous plongé?
Ron Renaud :
C’est une très bonne question. Vous avez mentionné tout à l’heure quelques-unes des entreprises dont j’ai eu la chance de faire partie. Idenix, c’était avant la période faste liée à la mise au point de médicaments contre le VHC. Vous vous souvenez, c’était le Far West; on développait des antiviraux novateurs, et les patients atteints du VHC en ont largement profité. Ensuite, comme vous l’avez dit, je me suis demandé ce qui était nouveau, novateur. Je ne voulais pas nécessairement jouer au redresseur d’entreprise. De fait, on a commencé avec RaNA Therapeutics et on a fini avec Translate Bio, une plateforme d’ARNm axée sur les vaccins. On travaillait sur les maladies rares. Mais imaginez : on était à la tête d’une entreprise qui développait des vaccins à ARN messager quand la COVID-19 a frappé.
Ça n’était rien pour améliorer les choses. On sait comment l’histoire a fini. Ensuite, je suis resté un certain temps chez Bain Capital avec Adam Coppel et son équipe. Une expérience formidable. Le groupe était excellent là-bas. En supervisant le portefeuille, j’ai bien vu que Cerevel sortait du lot. Tony Coles partait à la retraite, et le domaine m’intéressait beaucoup. Je rappelle d’ailleurs que le développement de médicaments neuropsychiatriques vit encore probablement un âge d’or. C’est durant cette époque formidable qu’AbbVide a fait notre acquisition. Yaron, je me suis mis à réfléchir sérieusement à ce que je voulais faire ensuite. J’aimais être à l’avant-garde de ces domaines de pointe. Depuis 2024, et encore aujourd’hui, l’obésité retient beaucoup l’attention.
Et pour la première fois, j’ai le sentiment qu’on vient combler un énorme besoin médical. La semaine dernière, je pense, l’obésité a dépassé la malnutrition parmi les principaux facteurs de maladie au monde, et pas seulement aux États-Unis. D’ailleurs, le taux d’obésité des Américains continue d’augmenter. Les personnes ayant un IMC supérieur à 35 forment le segment de patients qui connaît la croissance la plus rapide. Cet énorme besoin médical insatisfait était combiné à un portefeuille dont les actifs métaboliques sont parmi les plus avancés et les plus diversifiés en dehors des grandes sociétés pharmaceutiques et bénéficient du soutien de Bain Capital, d’Atlas, de RTW et d’Hengrui. La recette était gagnante. J’aurais été fou de ne pas sauter sur l’occasion.
Yaron Werber :
Pour les auditeurs qui vont nous écouter, on est au début de septembre 2025 et, en pleine assemblée annuelle de l’Association européenne pour l’étude du diabète, Kailera et Hengrui viennent de présenter des données. Les résultats, qui proviennent d’études en cours en Chine chez des patients diabétiques avec ou sans obésité, demeurent très solides. Le composé tête de série est plus puissant que Mounjaro. Il s’agit de KAI-9531, un agoniste des récepteurs du GLP-1/GIP. Parlez-nous des données et de la structure. Comment opère la différenciation et quelles sont les prochaines étapes? Par ailleurs, vous avez un autre médicament oral dans les cartons.
Ron Renaud :
Je parlerai dans un instant de notre collaboration avec Hengrui. Comme vous l’avez mentionné, KAI-9531 est notre actif principal, un agoniste double des récepteurs du GLP-1/GIP. Les études de phase 3 sont amorcées en Chine, où on attend la décision des organismes de réglementation chinois, et d’autres débuteront sous peu à l’échelle mondiale. Ici, aux États-Unis, les discussions avec les organismes de réglementation sur l’amorce des études de phase 3 sont très productives, compte tenu des données générées par Hengrui en Chine. Les études de phase 2 et 3 ont révélé une grande efficacité. Comme je l’ai mentionné, toutes se sont déroulées en Chine. On est emballés de voir que des doses inférieures ou peut-être légèrement supérieures à la moitié de celles du tirzépatide procurent une perte de poids moyenne d’un peu moins de 24 % dans les études de phase 2.
Ces études sont beaucoup plus courtes et enregistrent ces résultats très tôt. Comme vous le savez, aux États-Unis, ces études doivent durer beaucoup plus longtemps. Ces données chinoises proviennent habituellement de multinationales qui ont mené des études sur l’obésité, mais se transposent très facilement au monde occidental. La perte de poids moyenne atteint 24 % après 36 semaines, dont seulement 12 semaines à la dose d’entretien sans plateau. Il y a de quoi se réjouir des résultats d’études qui pourraient être obtenus aux États-Unis. Ce qui ressort surtout, c’est que les données montrent déjà le potentiel supérieur du médicament, qui a été conçu justement dans cette intention.
Hengrui l’a développé pour qu’il surpasse les autres disponibles grâce à une demi-vie plus longue et une préférence pour le GLP-1 environ trois fois plus marquée que ce qu’on voit sur le marché aujourd’hui. Du côté du GIP, c’est environ la moitié. Quand on regarde tout ça dans son ensemble, on comprend la portée de l’administration aux patients. Et les données commencent à pointer en ce sens. On est enthousiastes, sachant qu’aux États-Unis il faut augmenter le titrage et poursuivre la dose d’entretien durant 52 semaines. Si on obtient 24 % après seulement 12 semaines à la dose d’entretien, c’est très bon signe pour les études à long terme.
Yaron Werber :
Sans signes non plus de stagnation de l’efficacité.
Ron Renaud :
Ça pourrait établir une nouvelle norme dans l’obésité.
Yaron Werber :
Les données du prochain composé se profilent clairement. Le médicament oral GLP-1, le KAI-7535, montre une excellente réduction de l’Hba1c d’environ le sixième, accompagnée d’une perte de poids. Après 16 semaines, soit dit en passant. Les données sont donc très préliminaires, mais dessinent déjà un profil d’événements indésirables très encourageant qui s’approche de celui de l’orfogliporon. Pouvez-vous parler de ce programme, des prochaines étapes et peut-être aussi de la différenciation?
Ron Renaud :
Bien sûr. Comme vous l’avez souligné, KAI-7535 est une petite molécule pour laquelle on propose deux formes de prise orale. On a développé un peu plus tôt une petite molécule, un peptide oral, mais la petite molécule et les données européennes que vous avez soulignées aujourd’hui concernent une petite molécule agoniste du GLP-1. Le programme vise à ajouter la commodité de l’administration orale et à offrir une efficacité comparable, comme vous venez de le mentionner. Ce programme un peu antérieur nous prépare à un volet mondial d’études de phase 2. Mais d’après notre programme principal KAI-9531, les données qui commencent à émerger à l’échelle mondiale montrent que les agonistes doubles injectables vont constituer le traitement principal pour tous les patients qui veulent maximiser la perte de poids et bénéficier d’un profil d’effets secondaires tolérables.
Les médicaments oraux viendront ensuite en traitement d’entretien pendant toute la vie. Alors, si on veut atteindre le poids cible, les patients doivent pouvoir, s’ils le souhaitent, cesser l’injection. Kailera se distingue en proposant cet agoniste double potentiel de premier ordre auquel les médecins et les patients sont maintenant très habitués. Ensuite, on pourra enchaîner avec une petite molécule orale que les patients auront largement apprivoisée avant la mise sur le marché et qui, espérons-le, présentera un excellent profil d’efficacité et de tolérance.
Yaron Werber :
Kailera est une entreprise fondée à l’automne 2024 et issue de la scission de Jiangsu Hengrui, comme vous l’avez mentionné. Hengrui en est également l’un des investisseurs de départ. Entre-temps, la Chine est devenue une plaque tournante des opérations et de l’innovation à l’échelle mondiale, surtout en ce qui concerne l’obésité. Quels sont les défis et les avantages liés à l’obtention de licences pour les composés à un stade de développement avancé en Chine sur le plan scientifique, opérationnel et surtout de la réglementation?
Ron Renaud :
C’est une excellente question. À bien des égards, Hengrui est le meilleur partenaire avec qui j’ai travaillé. Même s’ils sont à l’autre bout du monde, ce sont de formidables collaborateurs. Bien entendu, on parle d’une des 50 plus grandes sociétés pharmaceutiques mondiales. On oublie que, même en Chine, il existe des projets très novateurs en R-D. Fondée il y a plus de 50 ans, l’entreprise gère la huitième filière de développement dans le monde. Elle compte sur 6 000 employés en R-D pour accroître son agilité. Dans notre cas précis, on bénéficie de son expertise de haut niveau dans le développement de médicaments de premier plan. Son expertise en chimie des peptides ne date pas d’hier et lui permet de démarrer très rapidement des essais cliniques. Depuis la majeure partie des 10 dernières années, Hengrui suit à peu près les mêmes lignes directrices réglementaires cliniques qu’ici, aux États-Unis.
Certaines diffèrent un peu, mais la similitude dépasse probablement 90 % dans ce qu’on nous livre par rapport à nos besoins. C’est l’élément fondamental à retenir. Ensuite, la chose intéressante, c’est qu’ils peuvent élaborer ces programmes deux, trois ou quatre trimestres avant nous, ce qui permet un flux régulier de données dans la succession des étapes importantes. Ça nous place dans une position unique. Pensez-y : on est en train de mettre au point un agoniste double injectable, une petite molécule orale, un peptide oral, sans oublier un triple G injectable. Le patient n’a peut-être pas besoin de tout cet arsenal, mais si c’est le cas, on en dispose.
Sinon, Hengrui va toujours être en avance sur nous, alors on va bénéficier de leurs données. C’est comme obtenir les réponses à un test avant même de recevoir les questions. Les données générées par Hengrui nous aident à mûrir nos décisions cliniques stratégiques pour notre programme, mais elles nous éclairent aussi pour la répartition du capital. On n’a pas à mettre deux médicaments oraux sur le marché. On va attendre de voir lequel est le meilleur. On considère que les géants pharmaceutiques sont notre seule concurrence. C’est tout. Il n’y a personne d’autre autour. On voit ce qui se trouve sur le marché aujourd’hui et on cherche à faire mieux.
Yaron Werber :
La meilleure journée à l’école de médecine, c’est quand on fait un examen et qu’on se rend compte que c’est le même que celui d’une année précédente qu’on a révisé. Tout à fait.
Ron Renaud :
Oui, mais c’est la réalité. Cet été, Hengrui a terminé une étude de phase 3 de 48 semaines. Les données sont excellentes et attendent l’approbation des organismes de réglementation chinois. On peut récupérer tout ce savoir parce que Hengrui est très transparent avec nous dans les travaux. On est en contact avec eux presque chaque jour. On échange des idées et ça nourrit notre réflexion sur ce qu’on veut faire et sur la façon d’accélérer les choses. Mais, c’est surtout un exercice stratégique qui permet d’envisager à quoi les marchés risquent de ressembler dans quelques années à peine.
Yaron Werber :
C’est formidable. On va continuer à suivre ça de très près. Les données vont maintenir la cadence et, comme vous l’avez mentionné, Hengrui va présenter des demandes d’autorisation et procéder à des lancements en Chine. C’est très inhabituel de mener déjà des études de phase 3 pour un médicament approuvé qui va être commercialisé ailleurs.
J’aimerais maintenant parler de votre carrière et des principaux apprentissages que vous en avez tirés; il y a beaucoup à dire. Pour expliquer le contexte aux auditeurs, Ron, vous avez vendu trois sociétés aux géants pharmaceutiques pour un total de 16 milliards de dollars – c’est très inhabituel. Tout ça dans différents domaines et à différents moments. Merck a acquis Idenix pour 3,9 milliards dans le secteur de l’hépatite C. Translate Bio a été vendue à Sanofi pour 3,2 milliards. On parle d’une plateforme d’ARN messager dans les maladies infectieuses créée pour produire des vaccins pendant la COVID-19. Enfin, AbbeVie a acquis pour 8,7 milliards Cerevel, une nouvelle plateforme et une filière de développement en neuropsychiatrie. La première question, et on va y revenir tout à l’heure, est de savoir comment favoriser la réussite alors que rien ne s’est fait en ligne droite et qu’il y a eu des défis à relever un peu partout? Tout d’abord, quelles sont les principales leçons tirées de chaque opération de fusion et acquisition?
Ron Renaud :
Tout d’abord, aucune opération de fusion et acquisition ne suit le même modèle. Aucune n’est pareille. Toutes les opérations stratégiques du genre auxquelles on a participé étaient vraiment uniques. Elles surviennent ponctuellement. Elles coïncident au moment où on possède quelque chose que quelqu’un veut pour une raison très précise. Et ce que j’ai appris en travaillant du côté vente, et même à mes débuts à Amgen avant de me joindre à Wall Street, je le dois à des spécialistes chevronnés du développement des affaires. Je pense à Gordon Binder, un chef de la direction hors pair. Gordon mûrissait beaucoup ses stratégies d’acquisition. En gros, il disait qu’il fallait cibler quelque chose dont on avait vraiment besoin ou qu’on ne pouvait pas développer soi-même. Ça m’a toujours frappé. La concurrence était vive chez Idenix dans le domaine du VIH, du VHB et du VHC. On excellait à la mise au point de promédicaments nucléosidiques et nucléotidiques. On cherchait à développer des inhibiteurs de protéase et de NS5A, des médicaments non nucléosidiques, etc. On se souvient tous de ce qui se passait à ce moment-là.
Finalement, c’est un promédicament nucléotidique qui a enrayé le VHC. Et je le répète : je ne suis pas un scientifique. J’étais en concurrence avec les médecins, les titulaires d’un doctorat, tout ce beau monde. Je me suis alors demandé à quoi on excellait. À quoi on était vraiment bons. Et j’ai compris qu’il fallait bâtir l’entreprise le mieux possible en fonction de nos forces. Et ça ne pouvait pas être pour la vendre; elle devait pouvoir faire un très long chemin. Il y a eu plein de livres écrits sur le sujet; on parle tout le temps de ça. Mais pour bâtir une entreprise, il faut faire les bonnes choses, trouver les bonnes personnes et s’inscrire dans la durée. Comme le veut le dicton : une entreprise, ça s’achète, ça ne se vend pas. Il faut la rendre plus forte à chaque étape. Chaque brique ajoutée à la fondation est très importante, parce que, si certaines sont fissurées ou cassées, tout l’édifice risque de s’effondrer.
Yaron Werber :
Pour revenir sur le processus de fusion et acquisition, ça ne se déroule jamais en ligne droite, non? Il y a plusieurs façons de se courtiser et, parfois, l’acquisition survient rapidement. Dans d’autres cas, les discussions prennent du temps avant d’aboutir. Quels conseils donnez-vous à un chef de la direction qui vit ça pour la première fois?
Ron Renaud :
Il faut s’attendre à l’inattendu. L’interlocuteur peut se retirer en plein milieu de l’opération, même si les conditions ont été établies. Les décisions se prennent sans qu’on en connaisse jamais les raisons. Les choses arrivent à un moment précis. Quelqu’un peut être très enthousiaste au printemps; les ententes prennent beaucoup de temps à éclore, si on veut. Mais, cet enthousiasme peut refroidir à l’automne. On peut être en discussions et avoir le sentiment que le marché est imminent, puis tout s’évapore. Le VHC en est un exemple parfait. Tout le monde était emballé en 2011 et 2012. Les ventes et les achats de sociétés, de grosses opérations, allaient bon train en 2012. La vente d’Idenix a attendu 2014. On multiplie les rencontres, on discute beaucoup. Toutes sortes de choses se disent et on prête l’oreille. Mais il faut savoir que l’affaire peut nous échapper; l’interlocuteur peut repartir aussi vite qu’il est arrivé. Les choses se précipitent quand on s’y attend le moins.
Yaron Werber :
Lors de l’acquisition, Idenix n’était même pas parmi les premiers actifs convoités. Comme vous l’avez souligné, c’est lorsque vous avez recentré la société et développé d’autres actifs que l’entente s’est matérialisée.
Ron Renaud :
Vous avez tout à fait raison, Yaron. Comme je l’ai dit, je ne suis pas un scientifique. Mais en mangeant avec Roger Perlmutter après la vente de l’entreprise à Merck, il m’a dit voir de l’ironie dans tout ça : je n’étais peut-être pas un scientifique, mais la société l’était devenue beaucoup plus. Il faut laisser les scientifiques, les chimistes, les biologistes, les cliniciens faire ce à quoi ils excellent, et se concentrer sur le processus, tout en fournissant les ressources financières et humaines nécessaires et en réunissant des données fiables pour orienter les décisions. Ça va fonctionner.
Yaron Werber :
Oui. Vous avez entrepris votre carrière à Amgen en sciences et poursuivi en finances et en relations avec les investisseurs avant de gagner Wall Street. Vous êtes ensuite devenu opérateur en bourse et finalement membre du conseil d’administration, en plus de présider divers conseils d’administration. Dans quels principaux apprentissages votre approche s’est-elle révélée à vous?
Ron Renaud :
Pour moi, l’aspect humain prime sur tout. Il s’agit de savoir avec qui on veut travailler, qui nous inspire. Quand j’étais plus jeune, j’étais pris d’angoisse le dimanche soir en pensant à tout ce que j’aurais à faire pendant la semaine. Et souvent, ça s’explique par un patron désagréable ou un collègue de travail qui viendra vous en mettre trop lourd sur les épaules le lundi matin. J’en étais épargné chez Amgen. J’étais en contact avec des collègues qui m’inspiraient et me communiquaient leur enthousiasme pour le travail. Ça me suit encore aujourd’hui.
Si je siège au conseil d’administration d’une entreprise, je dois adorer l’équipe de direction parce qu’elle prend les bonnes décisions cliniques, stratégiques, éthiques et que le reste du groupe fait preuve de bon sens en donnant les coudées franches à l’équipe de direction. Notre travail au conseil d’administration consiste à appuyer les bonnes décisions et à protéger les actionnaires. Dans le cas d’une société privée, le conseil d’administration réunit habituellement les actionnaires. Pour une société ouverte, il s’agit de protéger les actionnaires publics. Au fil du temps, je suis devenu très sélectif dans le choix des conseils d’administration auxquels je participe. Les conseils d’administration où je siège en ce moment me portent à croire que je suis chanceux. J’adore les équipes de direction et les autres membres du conseil d’administration.
Yaron Werber :
Du point de vue de l’entreprise, l’aspect humain est pour vous primordial. Comme on dit, ça prend des cerveaux pour développer d’excellents médicaments. Parfois, la qualité des médicaments contribue à la qualité du talent, mais ce n’est pas toujours simple. Une excellente équipe peut réussir. À l’époque, dans le dossier de l’hépatite C, on a beaucoup cherché à définir le succès. Et parfois, les projets de développement plus complexes font ressortir le meilleur en nous. Si on travaille sur Lipitor, il suffit de s’assurer que le patient prend le médicament. Mais il faut aussi compter sur une filière de développement solide ou sur la technologie. Qu’en pensez-vous? Au moment de déterminer la suite des choses, j’imagine qu’on ne possède à l’avance que la moitié de l’information. Alors, comment prenez-vous cette décision?
Ron Renaud :
C’est la question à un million de dollars pour tout le secteur. Ce que je peux vous dire, Yaron, et vous me connaissez depuis très longtemps, c’est que j’excelle à déterminer ce que je ne sais pas. Je fais confiance aux données. Je reconnais l’expérience de tout ce monde avec qui j’ai l’occasion de travailler, mais on finit tous par céder au dogmatisme. En posant la question « pourquoi fait-on ça? », on se fait répondre que c’est la façon de faire chez Merck, Amgen, Pfizer ou ailleurs. Reste à savoir ce que ça implique ici, ce que ça signifie maintenant. Est-ce que les données révèlent plutôt autre chose?
Il faut savoir garder le cap. Il faut faire les bonnes choses et laisser parler les données. De la sorte, on se trompe rarement. Souvent, les choses ne se passent pas comme prévu; on s’inquiète de la réaction des investisseurs ou du conseil d’administration ou on met en doute ses propres décisions. En général, les données ne mentent pas. C’est quand on s’en méfie que les problèmes apparaissent.
Yaron Werber :
Oui. Du point de vue de la stratégie, au moins deux des sociétés dont on parle ont connu une période de turbulences. À un moment donné, la filière de développement d’Idenix éprouvait des difficultés Vous aviez hérité d’une situation qui n’était pas nécessairement facile. Translate, la plateforme technologique initiale, était très novatrice et vous avez dû relever des défis de taille. Il a fallu aiguiller le train sur une voie totalement différente. Quelles leçons retenez-vous de la gestion d’une société de biotechnologie en période de turbulences? La tâche n’est pas si facile. Les employés sont inquiets et ont besoin de leaders forts. Les investisseurs ne savent plus où donner de la tête. Évidemment, les conseils d’administration peuvent céder aux émotions. Quoi faire?
Ron Renaud :
Vous soulevez tous les éléments clés pour y parvenir. D’abord et avant tout, ça prend le soutien du conseil d’administration. Je pense à Idenix. Le conseil d’administration y était excellent et me faisait confiance. Moi qui n’étais pas un scientifique au sein d’une société incroyable vouée à la science, on m’appuyait dans des décisions très importantes. On a vraiment changé le visage de l’entreprise en relativement peu de temps. On s’est recentrés, on a simplifié les choses et on est devenus très efficaces. Dans l’entreprise, il faut placer tout le monde – les employés, les membres d’équipe – sur un pied d’égalité, quoi qu’on en dise. C’est vrai pour le chef de la direction comme pour l’employé qui travaille au laboratoire, qui installe des logiciels ou qui lave des bouteilles. Chacun a la même importance.
Si on arrive à le comprendre et à rallier tout le monde en cours de route en expliquant ce qu’on veut faire, on va dans la bonne direction, on va de l’avant. Le succès va se trouver à la clé et mobiliser le soutien de tout un chacun. On doit avoir la confiance du conseil d’administration. Il faut faire confiance aux employés, qui vous le rendront. Pour les investisseurs, mais pas seulement, ça prend du temps. Souvent, si un investisseur est mécontent, c’est à cause de l’entreprise pour laquelle on travaille. Yaron, vous avez travaillé dans les opérations. Vous savez ce que c’est. Mais souvent, si l’investisseur trouve à redire, c’est que quelque chose d’autre affecte son portefeuille et qu’il cherche à passer sa colère sur quelqu’un. Il a besoin d’un bouc émissaire. Aujourd’hui, c’est Ron Renaud. Demain ça pourrait être Yaron. Oui.
Yaron Werber :
C’était probablement moi juste avant qu’il vous appelle.
Ron Renaud :
Après tout ce temps passé du côté vente et aussi chez Bain Capital, je comprends. Je saisis le portrait. Je comprends très bien quand ça se produit.
Yaron Werber :
Oui. Quel est le moment fort de votre carrière? Racontez-nous cette expérience.
Ron Renaud :
Dans ma carrière, il y en a eu beaucoup. J’ai eu énormément de chance dans ce secteur. Mais j’aimerais revenir sur mon passage à Idenix. Certains de nos médicaments ont frappé le mur à 100 km à l’heure. On s’intéressait aux traitements viraux, mais je me souviens quand on a opéré un virage en misant sur de nouveaux promédicaments nucléotidiques. À notre première étude de phase 2, les nouveaux composés étaient sous notre surveillance et on a enregistré certaines guérisons virales. Doug Mayars, notre directeur médical, m’a alors confirmé qu’on tenait un bon candidat. » J’ai failli pleurer. Ce médicament ne serait peut-être jamais vendu en pharmacie, mais au cours d’un essai clinique, quelqu’un quelque part avait été guéri de l’hépatite C. Et savoir que j’y avais contribué le moindrement était très gratifiant. Je ressens la même chose ici à Kailera avec nos actifs. J’ai hâte de lancer nos programmes.
Yaron Werber :
Vous pouvez rencontrer les patients. Ce n’est pas rien. C’est une vie sauvée. Quelles ont été vos plus grandes déceptions, et comment les avez-vous surmontées?
Ron Renaud :
J’en ai eu beaucoup. Je pense à chaque fois qu’il faut restructurer l’entreprise pour économiser en annonçant à quelqu’un qu’il faut procéder à des mises à pied pour préserver le capital. C’est horrible. On se sent mal. On ne s’habitue jamais, et on souhaite limiter le couperet. N’importe qui en biotechnologie qui développe des plateformes, des médicaments depuis longtemps aura à franchir cet obstacle à un moment donné. Et ce n’est jamais facile. C’est toujours très pénible.
Yaron Werber :
Oui, surtout dans une petite entreprise; on connaît les familles des employés. C’est très difficile.
Ron Renaud :
Oui.
Yaron Werber :
Vous en êtes à votre premier poste de chef de la direction en biotechnologie. Selon les dernières statistiques, c’est le cas de 65 % d’entre eux dans le secteur. Quel est votre principal conseil pour tout nouvel occupant du poste?
Ron Renaud :
Je me répète, mais il faut savoir s’entourer. J’ai eu de la chance. Lorsque je suis devenu chef de la direction d’Idenix en octobre 2010, j’étais en poste depuis environ huit jours quand John Maraganore m’a appelé. Je ne le connaissais ni d’Adam ni d’Ève. Je savais seulement que la société Alnylamn se trouvait au bout de la rue. Cet homme m’appelle – à l’époque, on avait tous des téléphones sur nos bureaux. Il me dit : « Vous ne me connaissez pas, mais je viens d’apprendre que vous êtes le nouveau chef de la direction d’Idenix. Si vous avez besoin d’aide, de conseils pour quoi que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler. » Et Henri Termeer a fait la même chose chez Genzyme. Je n’étais pas son plus grand admirateur en tant qu’analyste du côté vente. Personne ne lui a fait plus de reproches que moi au sujet des chiffres de Renagel. Pourtant, Henri a fait la même chose. J’ai pris John et Henri au mot, et ils m’ont offert des conseils que j’applique encore aujourd’hui.
Yaron Werber :
Génial. Génial. Oui, Henri avait vraiment le tour. Évidemment, bien du monde connaît Henri Termeer. C’est l’un des géants de la biotechnologie. C’est lui qui a lancé le modèle d’affaires orphelin. Le moindre médicament comptait pour la population de patients aux yeux de ce pionnier de la biotechnologie. C’était un homme incroyable.
Ron Renaud :
Il était toujours prêt à donner de son temps.
Yaron Werber :
Tout à fait. Très bien. Mon volet préféré du balado mise sur une touche personnelle et l’humour pour découvrir les invités. Et je sais certaines choses sur vous. Comme je risque de savoir comment vous répondrez à mes questions, je vais éliminer une option pour pimenter un peu les choses. Tout d’abord, quelle compétence non scientifique en finances vous a beaucoup surpris par son utilité dans votre carrière?
Ron Renaud :
J’y ai fait allusion tout à l’heure. Comme j’excelle à déterminer ce que je ne sais pas, je n’hésite pas à avouer mon ignorance. Je demande qu’on m’explique. Et souvent, j’ai une idée de quoi il s’agit. Mais je veux qu’on me donne une vraie raison pour laquelle on fait quelque chose. Un collègue chez Idenix m’a déjà dit que c’était ma meilleure qualité, cette capacité à avouer sans honte mon ignorance. Souvent, je n’en reviens pas de ce que j’ai appris.
Yaron Werber :
OK... Vous ne cachez pas votre ignorance. Vous demandez des explications.
Ron Renaud :
Oui.
Yaron Werber :
Très bien. Si vous n’aviez rien à voir avec biotechnologie – et je vous préviens, vous ne pouvez pas être sur votre bateau avec votre famille et vos enfants – que feriez-vous d’autre?
Ron Renaud :
Touché. Je voudrais sans doute être pêcheur en haute mer, mais je pense que j’aimerais enseigner. Avec le temps, j’ai vécu de bien belles expériences à de nombreux postes différents. J’aimerais les partager avec les jeunes et leur rappeler qu’on peut bifurquer dans la vie. Mon parcours professionnel n’a été ni linéaire ni conventionnel. J’ai pris bien des détours, et j’ai eu un plaisir fou. Je suis sorti des sentiers battus, et j’aimerais bien un jour le raconter à d’autres.
Yaron Werber :
Troisièmement, si vous deviez sauter d’un avion ou plonger au fond de l’océan, quel choix feriez-vous et pourquoi?
Ron Renaud :
Je plongerais au fond de l’océan parce que, si je descendais à mi-profondeur et qu’un incident survenait, je saurais comment remonter. Me laisser tomber d’un hélicoptère? Très peu pour moi. Il n’y a aucun moyen d’en réchapper. Au moins, dans l’océan, je sais ce qui se passe.
Yaron Werber :
Bien sûr. Pourquoi sauter d’un avion en mouvement?
Ron Renaud :
Exactement.
Yaron Werber :
Ron, c’est un plaisir de vous voir. Merci d’avoir été des nôtres. J’apprécie beaucoup. On garde le contact.
Ron Renaud :
Bien sûr. Merci, Yaron. J’ai adoré la rencontre.
Voix hors champ 1 :
Merci d’avoir été des nôtres. Ne manquez pas le prochain épisode du balado Insights de TD Cowen.