Invité : Frank McKenna, Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Animateur : Peter Haynes, Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Le sujet vedette de Frank dans le cadre de l’épisode de juin de Géopolitique a été l’analyse de la situation fluide au Moyen-Orient après la guerre de 12 jours qu’Israël a menée contre l’Iran et la décision des États-Unis de bombarder les installations nucléaires iraniennes. Avec un peu de recul par rapport à l’événement catalyseur de cette guerre, soit l’ordre du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou d’éliminer les chefs militaires iraniens, Frank croit que cette décision vise davantage la survie politique de M. Netanyahou que de tirer tactiquement parti d’un groupe d’intermédiaires iraniens affaibli.
La guerre entre l’Iran et Israël a aussi été au centre du récent Sommet du G7 organisé par le premier ministre du Canada Mark Carney, un événement partiellement gâché par la décision du président américain Donald Trump de partir tôt afin de parer les tensions au Moyen-Orient. Avant son départ, M. Trump a rencontré M. Carney. Les deux leaders ont convenu de négocier une entente bilatérale détaillée en matière de commerce et de sécurité dans un délai de 30 jours, une annonce qui suscite un certain scepticisme quant à ce à quoi cette entente va ressembler et quant à savoir si les questions fiscales liées à l’article 899 vont en faire partie.
La conversation se termine là où elle semble toujours se terminer, c’est-à-dire avec Frank qui continue d’être plus optimiste à l’égard de ses Toronto Blue Jays bien-aimés que l’animateur.
| Chapitres : | |
|---|---|
| 3:08 | L’attaque du président Trump contre l’Iran |
| 10:28 | Le calcul politique de la missive de Donald Trump à l’intention de l’Iran |
| 16:00 | La décision de Benyamin Netanyahou de mener une opération en Iran |
| 20:03 | Départ de Donald Trump du G7 et sa relation avec Mark Carney |
| 24:46 | Évaluation de la décision de Mark Carney d’inviter le premier ministre de l’Inde Narendra Modi au G7 |
| 31:10 | Nouvelles récentes sur l’article 899 |
| 35:50 | Danielle Smith met-elle la barre trop haut quand elle parle d’un oléoduc en Colombie-Britannique? |
Ce balado a été enregistré le 24 juin 2025.
FRANK MCKENNA : On bénéficie des barrières tarifaires les moins élevées au monde, malheureusement, elles nous font particulièrement mal.
PETER HAYNES : Bienvenue à l'épisode 66 de Géopolitique. Je suis en compagnie de l'Honorable Frank McKenna. Ici, Peter Haynes, l'animateur de cette série de balados. Frank, j'espère que vous allez bien. J'ai l'impression que notre dernier balado remonte à des lunes. Aujourd'hui, 24 juin, on enregistre tôt le matin parce que, selon mes sources, vous et votre femme, Julie, serez en route ce matin vers la magnifique ville de Miramichi, au Nouveau-Brunswick, pour un événement spécial. Nos auditeurs sont sûrement curieux. Quel est votre programme de la journée?
FRANK MCKENNA : La ville de Miramichi est hautement symbolique pour nous. C'est là que je pratique le droit et que j'ai été élu. La population locale m'a toujours soutenu quand j'étais premier ministre. Je lui serai reconnaissant à jamais. On a beaucoup de bons amis là-bas. On va annoncer aujourd'hui qu'on donne un million de dollars pour créer un centre aquatique à Miramichi. On entend continuer de soutenir la région aussi longtemps que possible.
PETER HAYNES : C'est un geste très généreux envers la collectivité pour laquelle vous travaillez depuis des années. Dites-moi, pendant votre séjour, aurez-vous l'occasion d'enfiler les bottes-pantalon pour pêcher à la mouche?
FRANK MCKENNA : Pas pendant ce voyage, mais dans quelques semaines. Ça se pourrait qu'on organise une sortie de pêche. Je l'espère. En passant, et je trouve ça amusant, un de mes premiers contacts à Washington, le vice-président Dick Cheney, se trouvait près de Miramichi. On assistait au dîner des correspondants, et il n'avait personne avec qui parler; moi non plus, alors on a engagé la conversation. Il nous en voulait un peu parce qu'on n'a pas participé à la guerre en Irak. Il m'a dit : « De toute façon, je ne pouvais pas bouder bien longtemps parce que j'adore les Canadiens. « L'été, je vais pêcher dans la rivière Miramichi. C'est un endroit dont vous n'avez probablement jamais entendu parler. » J'ai répondu que j'habitais là. Ça nous a rapprochés; c'était une bonne entrée en matière.
PETER HAYNES : Vous m'avez déjà parlé de quelques célébrités que vous connaissez ou avec qui vous avez pêché dans la Miramichi. Je pense à Jack Nicklaus, par exemple, Vous en avez d'autres?
FRANK MCKENNA : Oui. Jack Nicklaus a pêché dans la Restigouche. C'est un haut lieu de la pêche, peut-être le plus célèbre au monde, et le Club de pêche Restigouche est l'un des plus sélects. Jack Nicklaus en était membre. Un jour, j'ai pêché avec lui. C'était un golfeur redoutable à l'époque. Il frappait des balles de l'autre côté de la rivière, et les guides allaient les récupérer. Un jour, j'ai leur ai demandé comment ils faisaient pour trouver ses balles. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient pas à chercher bien loin. Elles atterrissaient toutes dans le même coin. [RIRES]
PETER HAYNES : Oui. On peut toujours rêver, pas vrai? Le golfeur amateur arrive de temps à autre à placer la balle au bon endroit. Mes meilleurs vœux à Julie et à vous à l'occasion de cet événement de marque. J'enchaîne maintenant avec la géopolitique. Tout le monde a les yeux rivés sur la situation en Iran. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'attaque du président Trump contre les installations nucléaires iraniennes. Est-ce que les États-Unis visent un changement de régime?
FRANK MCKENNA : Je voudrais souligner deux ou trois éléments. Tout d'abord, je ne suis pas surpris par l'attaque américaine. À mon avis, les États-Unis ont fait preuve d'opportunisme. Je pense qu'ils ont toujours voulu supprimer la capacité nucléaire iranienne, mais ils devaient apaiser certaines préoccupations. Entre autres, ils craignaient beaucoup de s'enliser dans un conflit interminable. Je vous donne un exemple. Les États-Unis ont utilisé des bombardiers B-2 pour mener l'opération. Ces appareils coûtent deux milliards de dollars pièce. Et il n'en existe que 21 exemplaires. Les Américains ne voulaient surtout pas qu'un appareil soit abattu et devienne un trophée pour les Iraniens. Ils détestaient aussi l'idée qu'un pilote ou un équipage puisse être fait prisonnier.
Vous vous souviendrez du célèbre incident au cours duquel Francis Gary Powers, pilote d'avion U-2, a été détenu en otage en Russie pendant un certain nombre d'années. Les Américains en ont été très embarrassés. Je pense que l'occasion s'est présentée lorsque les Israéliens ont réussi à paralyser les défenses de l'Iran et à en contrôler l'espace aérien, ce que la Russie n'a pas pu accomplir en Ukraine. La destruction des capacités de détection au sol de l'Iran a donné l'occasion aux États-Unis de faire décoller leurs coûteux bombardiers de haute précision. Les Américains se sont montrés très opportunistes. Pour ce qui est du résultat, je ne suis pas vraiment étonné de la réaction iranienne.
L'Iran n'avait que deux ou trois options. Ne rien faire aurait été extrêmement périlleux sur le plan politique. Le pays aurait largement perdu la face. Deuxième option, l'Iran aurait pu passer au niveau d'alerte DEFCON 3 et attaquer des cibles militaires en dehors de ses frontières, que ce soit en Irak, au Koweït ou ailleurs. Ou, troisième option, s'en prendre aux navires dans le détroit d'Ormuz. Il faut savoir que 20 % de la production mondiale de pétrole transitent par le détroit d'Ormuz; on parle d'environ 20 millions de barils par jour. Cette escalade aurait été très grave. Certains estiment que le prix du pétrole aurait grimpé à 110 $ ou 130 $ le baril.
Mais l'Iran aurait été davantage affecté; le pays compte aussi sur les revenus du pétrole. Cette option a été écartée. L'Iran a préféré la désescalade de rétorsion, comme on l'appelle dans les cercles diplomatiques. Les Iraniens ont attaqué une base américaine au Qatar. Ils ont prévenu qu'ils allaient lancer des missiles. Tous ont été abattus pour que l'Iran puisse invoquer des mesures de rétorsion proportionnelles. L'Iran a déployé autant de missiles que les États-Unis ont lâché de bombes. Les missiles n'ont pas causé de dommages importants, ce qui a désamorcé le conflit. Tout ça ressemblait, je dirais, à un ballet savamment orchestré.
PETER HAYNES : Depuis les bombardements, le président Trump a signalé sur Truth Social que la guerre était terminée, qu'il y a une trêve durable. Il a remercié les deux belligérants. Il a remercié les Iraniens d'avoir prévenu qu'ils s'apprêtaient à attaquer la base militaire au Qatar. Immédiatement, les Israéliens, je pense, ou probablement les deux parties au conflit maintenant, ont soutenu que la trêve n'avait pas été respectée. Croyez-vous que le président Trump est parvenu, en multipliant les appels téléphoniques, à négocier un règlement, ou du moins, une trêve? Et pensez-vous qu'à terme l'Iran va chercher vengeance de différentes façons en faisant appel, entre autres, aux cellules dormantes, peut-être aux États-Unis? Est-ce que ça vous inquiète?
FRANK MCKENNA : Oui, beaucoup. Mais pour en revenir au président Trump, il peaufine son CV pour obtenir le prix Nobel de la paix. Mais je le soupçonne de trop vouloir en faire. À court, terme, on a un cessez-le-feu. Ça pourrait tenir, mais pas nécessairement. Le Hamas a aussi accepté un certain nombre de cessez-le-feu, mais aucun n'a tenu. Le président Trump souhaite la paix, il faut le reconnaître. Certains des éléments de base sont en place, mais, je pense qu'on n'en a pas encore fini. Le conflit aura encore de nombreux soubresauts avant sa résolution. Mais on progresse jusqu'à maintenant.
PETER HAYNES : J'ose vous poser la question la plus difficile qui soit : la paix est-elle possible au Moyen-Orient?
FRANK MCKENNA : Probablement pas. Il faut connaître l'histoire de la région. Il y a des milliers d'années... En fait, on devrait consacrer une minute à l'Iran à lui seul. La civilisation perse, selon certains, remonte à plus de 100 000 ans. L'Iran est l'un des rares pays du Moyen-Orient à avoir maintenu son intégrité territoriale. C'est un peuple très fier. Il compte environ 92 millions d'habitants. La population, très scolarisée, est fortement laïque et pro-occidentale. Tout comme le président Pezeshkian, qui jouit d'un grand respect. Mais les Gardiens de la Révolution, un mouvement religieux, dirigent le pays et n'échappent pas entièrement aux éléments plus fanatiques. C'est dommage, parce qu'un changement de régime serait sans doute une bonne chose. Mais, ça ne risque pas vraiment de se produire en raison des forces externes. Le mouvement devra venir de l'intérieur. Et, dans un régime répressif comme celui-là, c'est peu probable. Il ne faut pas non plus oublier que l'Iran se sent maintenant très isolé. La Chine et la Russie, des alliés présumés, n'ont pas levé le petit doigt dans ce conflit. Les branches commandées par l'Iran : le Hezbollah, les Houthis, le Hamas, ont été décimées. Et on parle d'une population religieuse minoritaire au Moyen-Orient, qui compte sans doute 80 % ou 90 % de sunnites, alors que la majorité des 92 millions d'Iraniens est chiite. L'Iran vit une situation minoritaire au Moyen-Orient. Le pays s'est toujours senti un peu isolé dans la région. Or, on espère qu'une réduction des tensions avec Israël fasse en sorte que l'Arabie saoudite et les Émirats se rapprochent de l'Iran et que les liens se ressent entre les pays du monde arabe : Jordanie, Égypte, Turquie, etc. La situation est explosive en raison de toutes ces communautés presque tribales. On pense aux alaouites en Syrie. Aux druzes. Aux chiites. À la nombreuse population kurde, aux sunnites, etc. Le Moyen-Orient peine à surmonter ses tendances tribales, mais il ne faut pas désespérer.
PETER HAYNES : OK, le président Trump a promis de mettre fin à toutes les guerres séculaires dans le monde. Jusqu'à présent, il n'y réussit pas très bien. Aux États-Unis, la réaction à ses frappes militaires est contrastée et ne suit pas nécessairement l'allégeance politique. La plupart des républicains appuient le président, mais certains membres MAGA plus influents ou plus en vue déplorent que les États-Unis soient impliqués dans un conflit au Moyen-Orient, ce qui met la vie d'Américains en danger. En parallèle, les démocrates critiquent surtout le président Trump pour des violations à la War Powers Act, le Congrès n'ayant pas accordé son autorisation pour mener cette guerre. Selon vous, quelle sera l'issue du calcul que fait le président Trump? Est-ce que ça va dépendre entièrement de la réponse à long terme de l'Iran et des pertes potentielles de vies militaires ou civiles?
FRANK MCKENNA : C'est le second scénario qui risque d'arriver. Si les États-Unis sont entraînés dans une guerre, ils devront envoyer des troupes au sol, etc. La pilule sera difficile à faire avaler sur le plan politique. Je ne crois pas que ça va se produire. Si l'opération est ponctuelle, comme on peut le présumer, le président Trump devrait s'en tirer sans trop de mal. Il y a toujours eu un mouvement isolationniste au sein du Parti républicain, et avec raison. On a été témoins des déconfitures au Vietnam, en Irak et même lors du retrait de l'Afghanistan.
Soit dit en passant, la guerre en Afghanistan est le seul conflit où l'article 5 du traité de l'OTAN a été invoqué au nom des États-Unis. Les Américains hésitent beaucoup à s'engager dans des guerres étrangères. Et, comme on pouvait s'y attendre, les démocrates dénoncent des violations à la War Powers Act. Mais, au fil des ans, cette loi a été beaucoup plus souvent enfreinte que respectée. Elle n'a été respectée, je pense, que 11 fois, alors que les opérations militaires se comptent par centaines, y compris par les démocrates. L'attaque d'Obama contre Kadhafi, par exemple, allait à l'encontre de la War Powers Act. Ces arguments juridiques se plaident, mais en fin de compte, si l'opération est ponctuelle, ça ne soulèvera aucun débat politique aux États-Unis.
PETER HAYNES : Avez-vous été surpris par la réaction du reste du monde à la décision du président Trump d'attaquer l'Iran? Vous avez souligné le fait que les partenaires de l'Iran, soit la Chine et la Russie, deux pays dans sa sphère d'influence, ont préféré se tenir à l'écart. Est-ce que cette réaction ou celle d'autres pays vous surprend?
FRANK MCKENNA : Non. Je ne suis pas étonné. Le reste du monde s'est indigné, comme prévu, mais personne n'apprécie le régime iranien. Tous espéraient que quelque chose se produise. Toute la planète a été affectée par les attaques menées en mer Rouge par les Houthis, qui sont des agents de l'Iran. La seule chose que le reste du monde va mentionner, et avec raison, c'est que le problème a été résolu en grande partie en 2014 quand l'Europe, avec les autres pays de la planète, y compris les États-Unis, ont négocié avec l'Iran un accord pour interdire l'enrichissement d'uranium au point de pouvoir fabriquer une bombe.
L'Iran et le reste du monde ont respecté cet accord jusqu'en 2019 avant que le président Trump ne le déchire unilatéralement, comme il l'a fait pour l'ACEUM, l'Accord de Paris, etc. L'Iran affirmait à juste titre avoir respecté l'entente, et je pense que les observateurs internationaux seraient d'accord. Le président Trump et Israël n'ont jamais aimé les modalités de cet accord, à vrai dire. Mais c'était mieux que rien. Il a freiné le programme nucléaire iranien. Le reste du monde rappellera aux États-Unis que tout ce qu'ils ont fait en 2025, c'est de revenir à la situation de 2014 lorsque l'Iran a dû cesser d'enrichir de l'uranium. Autrement, je pense que le reste du monde va demeurer muet sur ce qui se passe.
PETER HAYNES : Avant de poursuivre, Frank, pouvez-vous expliquer pourquoi l'Iran est une plus grande menace nucléaire que la Corée du Nord, par exemple? Et comment a-t-on pu laisser la Corée du Nord fabriquer une bombe nucléaire avant que le reste du monde s'en mêle - ou du moins les États-Unis.
FRANK MCKENNA : C'est une question intéressante. Je pense que la Corée du Nord s'est dépêchée à fabriquer une bombe avant que le reste du monde ne s'en rende compte et n'intervienne. C'est l'une des raisons, le « casus belli » en droit, pour lesquelles Israël, les États-Unis et beaucoup d'autres pays ne voulaient pas que l'Iran possède une bombe nucléaire. L'Iran ne devait pas accroître la menace mondiale en s'ajoutant aux pays détenteurs de l'arme nucléaire. Dans une certaine mesure, les deux nations se comparent quant à la menace qu'elles font peser sur le reste du monde. La Corée du Nord est dirigée par un dictateur, mais de nombreux analystes diraient que le pays souhaite davantage assurer sa propre défense. C'est plutôt une arme défensive pour se protéger. Après avoir vu ce qui est arrivé à Kadhafi, d'autres pays cherchent un moyen de se défendre, comme de fabriquer une bombe nucléaire. Dans le cas de l'Iran, je pense qu'il y a une réelle préoccupation du fait que le pays est dirigé par des fanatiques religieux et qu'un arsenal nucléaire servirait plutôt d'arme offensive. L'Iran pourrait mettre en danger d'autres pays du Moyen-Orient et même toute la planète.
PETER HAYNES : Les attaques contre les installations nucléaires iraniennes sont survenues alors que les tensions sont accrues au Moyen-Orient. Il faut savoir que le président Nétanyahou d'Israël a fait monter la température il y a quelques semaines avec une première frappe surprise contre un groupe de dirigeants militaires iraniens réunis à Téhéran, ce qui explique la situation actuelle dans le conflit. Pendant que la guerre à Gaza attise les tensions militaires au pays, pourquoi Nétanyahou déciderait-il maintenant d'aggraver le conflit d'Israël avec l'Iran et d'engager une opération sur plusieurs fronts?
Est-ce que ça fait partie d'un plan de survie personnel, vu que ses problèmes juridiques vont revenir le hanter à la fin de son mandat? Ou s'agit-il plutôt d'une tactique pour frapper pendant que les agents et les alliés de l'Iran sont occupés ou décimés?
FRANK MCKENNA : Je pense que ça fait partie d'un plan de survie personnel du point de vue politique et juridique. Il ne se maintient au pouvoir que grâce à deux faucons de droite au sein de son gouvernement, qui sont très engagés dans cet effort de guerre. Il risque de les perdre s'il fait marche arrière, ce qui entraînerait la chute du gouvernement.
Deuxièmement, il court un risque juridique parce qu'il pourrait être condamné et emprisonné pour certaines infractions s'il perd le pouvoir. Oui, c'est une importante source de motivation pour lui. Je soupçonne aussi une occasion tactique. Après l'amorce de cette guerre d'usure avec le Hamas, dont les capacités sont sérieusement réduites, le Hezbollah est ensuite entré en jeu, et ses forces sont aussi très diminuées. Graduellement, Israël s'est rendu compte que ses opposants n'étaient pas en mesure de rivaliser avec son arsenal technologique. En poursuivant ses efforts, Israël est parvenu à décapiter le leadership iranien grâce à des frappes chirurgicales et à ses capacités militaires. Au départ, ce n'était probablement pas le but, si on remonte à un an ou deux, mais, à chaque étape, on s'est rapproché de l'objectif ultime, qui était de mettre l'Iran hors d'état de nuire.
PETER HAYNES : Frank, je déteste les lundis soirs comme hier, où il n'y a pas de match des Blue Jays. Mon fils et moi, on s'est mis à regarder les films de la série Jason Bourne. Dans l'une des scènes, pendant que Bourne braque le viseur de son arme sur une collègue de la CIA, il lui dit au téléphone qu'il veut rencontrer l'ancienne collaboratrice qui se trouve juste à côté d'elle. Tout le monde se regarde en comprenant que l'arme est pointée directement sur eux. Pensez-vous que les Israéliens visaient Khomeini et qu'ils auraient pu tirer si le président Trump l'avait autorisé? Croyez-vous qu'on est passés aussi près d'un changement de régime?
FRANK MCKENNA : Il y a deux réponses à cette question. L'une est carrément non et l'autre carrément oui. Et on ne sait pas laquelle est la bonne. Dans le cas d'un non, ils ne savent pas où est Khomeini, mais ils disent le contraire et le forcent à bouger et peut-être à se montrer. Malheureusement, l'assassinat d'un leader fanatique en porte habituellement un autre au pouvoir. Sur une certaine période, Peter, combien de commandants du Hamas ou de l'Iran ont été abattus?
Il semble ne jamais manquer d'aspirants pour les remplacer. On a l'impression que si Khamenei devait être supprimé en Iran, un Gardien de la Révolution prendrait sa place très rapidement. Je viens de voir passer une nouvelle à l'écran en lien avec notre discussion précédente. Le président Trump s'en prend à l'Iran et à Israël pour avoir violé le cessez-le-feu négocié il y a quelques minutes. Ça n'a pas duré très longtemps. Ça ne veut pas dire que c'est terminé, mais seulement que la paix est fragile.
PETER HAYNES : Oui. L'opération menée par le président Trump en Iran a suivi son départ précipité du Sommet du G7 organisé à Kananaskis, en Alberta, il y a environ une semaine. Pensez-vous que c'était une coïncidence, ou que le président Trump cherchait encore à faire étalage de son désintérêt à l'égard du multilatéralisme?
FRANK MCKENNA : Je penche pour la deuxième option. J'ai un léger trouble déficitaire de l'attention et je pense que le président aussi. L'idée de passer deux jours à écouter tout le monde, sans être le centre d'attention, lui était tout simplement insupportable. Il faut voir son interaction avec M. Carney dans le bureau ovale. Le président a aspiré tout l'oxygène de la pièce, comme il l'a fait avec M. Zelensky et le leader de l'Afrique du Sud. Il exige d'être le point de mire, de recevoir beaucoup d'attention, et l'idée de rencontrer plusieurs autres dirigeants mondiaux appelés à prendre la parole lui était probablement insupportable.
Mais, au-delà de ça, sur le plan idéologique, il penche pour l'unilatéralisme. Il ne souscrit pas au multilatéralisme; il n'y croit tout simplement pas. Au besoin, il accepterait des relations bilatérales sur lesquelles pèserait la puissance des États-Unis. Il écarte du revers de la main le monde créé par ses prédécesseurs, celui de l'OMC, du partenariat transpacifique, de l'Accord de Paris, de l'OMS ou de n'importe laquelle de ces institutions multilatérales. Il n'est tout simplement pas à l'aise dans cet environnement et déteste devoir céder la parole.
PETER HAYNES : À propos d'ententes bilatérales, avant de quitter Kananaskis, le président Trump a rencontré le premier ministre Carney. Les deux leaders ont tenu une conférence de presse conjointe parfois gênante et ont annoncé par la suite qu'ils travailleraient à conclure un accord commercial dans un délai de 30 jours. Entretemps, la pause tarifaire de 90 jours annoncée le jour de la libération par le président Trump se termine le 1er juillet. Comment les Canadiens ont-ils résolu la quadrature du cercle entre la fête du Canada et la prolongation de 30 jours convenue entre les deux leaders? Et à quoi risque de ressembler l'accord commercial entre le Canada et les États-Unis?
FRANK MCKENNA : D'après mes conversations des des derniers jours avec des parties prenantes au dossier, je ne suis pas très optimiste quant à l'élimination des tarifs douaniers dans le cadre de ce que j'appelle la forteresse nord-américaine. On essaie de négocier en matière de commerce et de sécurité une entente qui intégrerait ces éléments. Mais à ce stade, je ne garantirais pas qu'on va y arriver.
Par contre, j'estime qu'à l'échéance les produits conformes à l'ACEUM vont demeurer libres de droits de droits jusqu'en 2026, date de révision de l'Accord. Et ça englobe environ 93 % des marchandises en provenance du Canada. L'une des parties à la négociation m'a confié récemment que le Canada intensifie ses efforts pour faire respecter les règles de l'ACEUM applicables aux produits. On bénéficie des barrières tarifaires les moins élevées au monde, et je suppose qu'on devrait s'en satisfaire.
Malheureusement, elles nous font particulièrement mal. Je parle de l'acier, de l'aluminium et des automobiles, par exemple. Ces tarifs sectoriels sont très lourds. On s'y attaque dans toutes les négociations. Mais tout ça pour dire qu'on s'en tire probablement mieux que les autres, et ça devrait être encore le cas après les 30 jours. Va-t-il y avoir une entente? Je sens de plus en plus de cynisme quant à la possibilité de signer une entente. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne se retrousse pas les manches pour y arriver. Loin de là. Assurément.
PETER HAYNES : Comme vous l'avez rappelé, c'est une chose de confirmer un accord commercial, mais ç'en est une autre d'en négocier tous les détails. De toute évidence, on en est encore aux généralités dans les négociations. Selon vous, dans quelle mesure le premier ministre Carney y participe-t-il? Laisse-t-il ses représentants négocier avec les Américains ou met-il la main à la pâte?
FRANK MCKENNA : Il participe activement. On me dit qu'il envoie des messages textes ou qu'il téléphone au président presque tous les jours.
PETER HAYNES : J'imagine que c'est de bon augure, non? Tant que l'on discute, tout peut se produire. N'est-ce pas? F
RANK MCKENNA : Tout à fait. Ça reflète également une relation respectueuse. On n'a jamais rien entendu d'irrespectueux entre M. Trump et M. Carney, heureusement.
PETER HAYNES : À propos de manque de respect, la communauté sikhe était un peu inquiète ou mécontente de la décision du premier ministre Carney d'inviter le premier ministre de l'Inde, M. Modi, au Sommet du G7. Après une rencontre privée entre les deux leaders, le gouvernement du Canada a réaffirmé dans un communiqué l'importance des liens entre le Canada et l'Inde, et je cite : « fondés sur le respect mutuel, la règle de droit et un engagement envers le principe de souveraineté et d'intégrité territoriale ». Dans l'intervalle, les discussions entre des représentants de l'Inde et de la GRC ont repris à propos du meurtre du Canadien Hardeep Nijjar, un homicide commis en sol canadien et impliquant le gouvernement indien, selon les représentants canadiens. Pensez-vous que M. Carney a rétabli trop rapidement les liens avec l'Inde, ou êtes-vous d'accord avec l'ancien premier ministre Stephen Harper pour dire qu'il était temps de passer à autre chose?
FRANK MCKENNA : Je suis tout à fait d'accord avec l'ancien premier ministre Stephen Harper et le premier ministre actuel, Mark Carney. Il est temps de passer à autre chose. Je vais simplement exprimer ouvertement mon opinion, même si beaucoup ne seront pas d'accord. Je pense que les diasporas qui s'installent au Canada devraient mettre de côté la politique de leur pays d'origine, point à la ligne.
On ne devrait pas mener de guerres étrangères sur notre sol. On ne devrait pas encourager le séparatisme dans d'autres pays. Certains membres de la communauté sikhe du Canada le faisaient ouvertement dans le cas du Khalistan. D'ailleurs, le point de vue n'est pas unanime au sein de la communauté sikhe, mais certains n'ont pas eu cette retenue. Je ne suis tout simplement pas d'accord. J'estime que nos relations avec d'autres pays devraient être de nature strictement professionnelle. Dean Acheson, un ancien secrétaire d'État américain, a un jour critiqué le Canada en déclarant que nous étions la voix sévère de la fille de Dieu. Il voulait dire qu'on aimait faire la leçon, la morale, et porter des jugements. J'ai été témoin de cette attitude au sein du corps diplomatique et dans ma vie politique. C'est une position dans laquelle se replie souvent le Canada; on déplore les pratiques des autres, que ce soit les Premières Nations ou les communautés de genre, sans parler des droits de la personne, etc. On a tendance à être trop condescendants et moralisateurs, et ça ne me plaît pas. Ce n'est pas notre rôle, et je pense que ça gêne d'autres relations importantes susceptibles de nous aider à établir la crédibilité qui nous permettrait d'influencer certains autres enjeux.
PETER HAYNES : Frank, le premier ministre Carney vient d'assumer pour la première fois la présidence du Sommet du G7 au Canada. Quelle note lui donnez-vous en tant qu'hôte? Et quelles sont vos attentes quant au Sommet de l'OTAN prévu cette semaine à La Haye et à la participation de M. Carney, mais aussi celle de M. Trump?
FRANK MCKENNA : M. Carney mérite une bonne note à Kananaskis parce que la barre était haute et qu'il l'a franchie. Il n'obtient pas 10 sur 10 parce qu'il y avait une limite à ce qu'il pouvait accomplir, mais il a su maîtriser l'éléphant dans la pièce. Il a aussi publié un certain nombre de communiqués. Et, apparemment, la chimie entre les leaders après le départ de Trump était excellente. M. Karney a contrôlé ce qu'il pouvait contrôler; il n'y a pas eu de drame. C'est un bon résultat. La situation actuelle reflète un changement de cap au Canada, il faut en prendre note; c'est historique.
Tout d'abord, on a signé un pacte général sur la sécurité avec l'Europe. On va donc être beaucoup plus en phase avec les objectifs européens en matière de défense. On va pouvoir bénéficier des crédits européens et probablement acquérir des équipements compatibles avec ceux de l'Europe. On va être en meilleure position pour discuter avec les États-Unis. On réalise 80 % de nos dépenses en défense aux États-Unis, et on doit accepter le fait, après deux mandats de M. Trump, que la relation n'est pas nécessairement fiable. Il faut trouver un équilibre dans nos relations.
C'est pour ça qu'on a signé une entente avec l'Europe. Les États-Unis vont toujours demeurer notre meilleur partenaire en défense, mais on a besoin d'autres options. En ce qui concerne le pourcentage de notre PIB consacré à l'OTAN, la décision tombera dans les deux prochains jours. On s'est engagés à atteindre 2 % dès cette année. Toutes sortes de récriminations ont déploré notre incapacité à y parvenir avant 2032, mais on dirait qu'on va y arriver cette année. On va avoir plus de crédibilité dans nos discussions à l'OTAN, maintenant qu'on s'apprête à respecter l'exigence minimale initiale. Reste à savoir si l'OTAN va porter le pourcentage à 3,5 % ou 5 %. Même les États-Unis ne l'atteindront pas. Et d'autres pays commencent à regimber. Il faut noter que l'Espagne s'oppose à l'idée d'aller jusqu'à 5 %. Il pourrait y avoir un compromis, comme d'habitude, dans ces situations.
Premièrement, on pourrait hausser la cible, mais sur une période plus longue. Deuxièmement, on pourrait changer le poste budgétaire. Je vous donne un exemple. Le Canada transfère ses brise-glaces, je pense, de la Garde côtière aux forces armées et les dote d'une artillerie; l'investissement va compter dans la limite initiale. Je pense que tous les pays s'entendent pour dire que les investissements dans l'IA et la cybersécurité peuvent aussi en faire partie. À observer la guerre asymétrique qui se déroule en Ukraine, on voit que c'est crédible. Si l'Ukraine est encore dans la bataille après tout ce temps, c'est uniquement grâce à ses soldats du clavier. On devrait assister à une redéfinition des dépenses admissibles selon l'OTAN.
PETER HAYNES : Croyez-vous que le président Trump va aussi fanfaronner là-bas? Il est monté à bord d'Air Force One ce matin à destination de La Haye.
FRANK MCKENNA : [RIRES]
PETER HAYNES : Est-ce une question piège? Est-ce une évidence? Est-ce de la rhétorique? [RIRES]
FRANK MCKENNA : Oui. Disons qu'il cherche souvent à capter l'attention, pour employer le langage feutré de la diplomatie.
PETER HAYNES : De toute évidence, la géopolitique mondiale occupe le devant de la scène depuis les dernières semaines et éclipse certains problèmes du président Trump au pays, notamment la difficulté à faire adopter sa grande et magnifique loi budgétaire au Congrès. Au nombre des sujets d'intérêt à l'extérieur des États-Unis et ici au Canada, l'article 899 du budget proposé vise les pays où les États-Unis estiment que les entreprises américaines font l'objet de taxes iniques, et frappe en retour ces pays discriminatoires, dont il taxe les personnes et les entités qui investissent aux États-Unis, notamment les caisses de retraite. Le Canada est dans la mire en raison de sa taxe sur les services numériques et de son appui à un régime d'impôt minimum mondial. Les récentes révisions au projet de loi par le Sénat tempèrent le libellé de l'article 899, mais n'éliminent pas complètement le risque d'une hausse de taxes sur les investissements étrangers aux États-Unis par les Canadiens et d'autres soi-disant contrevenants à l'échelle mondiale. Qu'adviendra-t-il de l'article 899, et pensez-vous que le gouvernement canadien va intervenir pour empêcher que le Canada figure sur la liste des contrevenants?
FRANK MCKENNA : Oui. L'article 899 est un enjeu latent qui a de graves conséquences pour le Canada et le reste du monde. C'est ce qu'on appelle une taxe de rétorsion. On s'en prendra aux pays qui taxent les services numériques ou les profits sous-imposés. En gros, cette disposition vise toute forme d'impôt minimum mondial. Il y aura donc, sur les dividendes par exemple, une retenue d'impôt annuelle de 5 % qui va augmenter chaque année et accroître la pression progressivement. L'article a préséance sur les conventions fiscales, ce qui est inquiétant en soi. Les conséquences sont réelles pour le reste du monde et les États-Unis. L'idée est d'étendre les droits de douane aux flux de capitaux. Ce n'est qu'un autre exemple de la façon dont les États-Unis monnayent leur hégémonie sur le reste du monde. Malheureusement, chaque action produit une réaction, et il y en aura une si l'article est adopté tel quel. Les changements au Sénat ne sont pas suffisants, à mon avis, pour éviter une réaction. Il ne faut pas oublier que, même si les Américains sont puissants, des dizaines de milliers de milliards de dollars dans le monde sont encore investis aux États-Unis pour financer leur appétit. Et si cette taxe était appliquée, elle augmenterait presque certainement le coût du capital aux États-Unis. L'évaluation des actions et le dollar américain en seraient affectés. Toutes ces conséquences sont nuisibles aux États-Unis.
Et pour le reste du monde, les États-Unis seraient moins attrayants pour les investisseurs, à dire franchement Et ça accélérerait une tendance actuelle. À cause de la guerre tarifaire, le reste du monde délaisse les partenariats avec les États-Unis. Je ne pense pas que la tendance à long terme soit saine pour les États-Unis. Les Américains en tirent peut-être une fierté à court terme, mais à long terme, je ne pense pas que ce soit sain. Comment le Canada va-t-il réagir? Tout ça va faire partie de négociations multilatérales à l'échelle mondiale, mais aussi des pourparlers bilatéraux entre le Canada et les États-Unis. Si je devais deviner, je dirais qu'on va abandonner la taxe sur les services numériques si ça devait dénouer l'impasse et d'autres négociations. Mais c'est une monnaie d'échange, et on ne va sans doute rien faire à ce sujet avant de savoir si ça permettrait d'écarter cette taxe de rétorsion ou de conclure une entente sur les tarifs et la sécurité.
PETER HAYNES : Désolé, pensez-vous que ça ferait partie de la négociation sur les tarifs et la sécurité ou que ce serait traité différemment?
FRANK MCKENNA : Je pense que ça va faire partie d'une négociation plus large qui insistera davantage sur les conséquences de l'article 899. Je ne sais pas si ça va s'inscrire dans l'entente globale en cours de négociation, mais les équipes de négociation en parlent. PETER HAYNES : Je peux vous dire, Frank, que le milieu institutionnel a été pris de court. Les questions et les appels sont nombreux.
FRANK MCKENNA : Oui.
PETER HAYNES :...sans parler des webinaires, etc., organisés dans les dernières semaines avec des fiscalistes.
FRANK MCKENNA : Peter, ça s'applique aussi aux fonds souverains. Ce sont des sommes colossales qui entrent aux États-Unis. Sans doute que toutes les entreprises font appel à des comptables et des avocats fiscalistes pour comprendre les conséquences.
PETER HAYNES : Oui. Encore une fois, les avocats s'enrichissent, dans le cas présent, ceux qui se spécialisent en fiscalité. Néanmoins, le sujet est important. Frank, avant de conclure, une nouvelle est apparue sur le site de Bloomberg ce matin. En fait, c'est à la une et ça concerne la première ministre Smith de l'Alberta. Elle s'attend dans les prochaines semaines à ce que le secteur privé annonce la construction au nord de la Colombie-Britannique d'un oléoduc qui serait jumelé à un énorme projet de captage de carbone en Alberta mené par des intérêts privés. On cherche à profiter du projet de loi C-5 qui, je pense, a été récemment adopté par le Parlement et qui propose d'accélérer les projets d'intérêt national. Danielle Smith croit que ce projet pourrait venir en tête de liste. Comment le scénario risque-t-il de se jouer, selon vous? Est-ce réaliste ou en est-on encore aux premières étapes de discussion?
FRANK MCKENNA : Un certain nombre de ces éléments sont positifs et réalisables. Assurément, le gouvernement du Canada s'intéresse au projet de captage et de stockage du carbone proposé par Alliance nouvelles voies. On y investit massivement. On est prêt à faire des compromis, si c'est possible, notamment sur les plafonds d'émission. Et je pense que ça satisferait l'Alberta. Le problème, c'est que la première ministre Smith place la barre trop haut. Je n'ai pas la réponse; personne ne la connaît. Il faut savoir que certains aspects du dossier relèvent du gouvernement fédéral.
Premièrement, il faut un transporteur privé, une société pipelinière prête à prendre le risque financier et à orchestrer une levée de fonds massive. Deuxièmement, y a-t-il des expéditeurs qui sont prêts à payer les droits sur ce pipeline, en supposant que ce coût va être assez important? Troisièmement, il y aurait jusqu'à 100 titulaires de droits et de titres des Premières Nations sur le tracé du pipeline. Vont-ils finir par signer? Et combien vont le faire? Certains accepteront une participation en capital, mais peut-être pas tous, et vont-ils pouvoir s'opposer au pipeline? Ensuite, il y a la question de la Colombie- Britannique, qui n'appuie pas un pipeline au nord de la province. Autre problème : l'interdiction pour les pétroliers de circuler dans cette partie de la Colombie-Britannique. Ce sont tous des enjeux majeurs. D'une certaine façon, la première ministre Smith n'aurait sans doute pas pu placer la barre plus haut. C'est peut-être mission impossible. Je ne sais pas. Les conditions du marché peuvent jouer, au même titre que le contexte financier ou les droits légaux. Ce n'est pas entièrement du ressort du gouvernement fédéral.
Alors, même si le projet de loi C-5 leur accorde d'énormes pouvoirs, certains facteurs viennent compliquer la signature de l'entente. Si Mme Smith s'entend avec Alliance nouvelles voies et est prête à consacrer des ressources au projet en échange de l'abandon du plafond d'émissions, et si on trouve à acheminer un million de barils par jour de plus par les oléoducs existants, à supprimer les goulots d'étranglement, etc., l'entente est très faisable assez rapidement. Mais elle a mis la barre très haut, et on verra si les parties peuvent s'en accommoder. Ça m'inquiète quand un projet dépend d'un objectif inatteignable. Et dans ce cas-ci, à ce stade, on ne sait pas à quel point c'est réaliste.
PETER HAYNES : On sent bien que la température entre Ottawa et l'Alberta est moins élevée que lorsque le premier ministre Carney est arrivé au pouvoir. Les menaces fusaient de la part de la leader albertaine et de certaines provinces de l'Ouest. Êtes-vous d'accord?
FRANK MCKENNA : Oui, tout à fait. On est aux antipodes. C'est rafraîchissant à voir, très franchement. PETER HAYNES : Très bien. Tant mieux, parce que c'était inquiétant d'entendre parler de séparation à un moment où on essaie de rassembler le pays, face aux menaces des États-Unis. Comme vous l'avez dit plus tôt, le président Trump est loin d'avoir traité aussi mal le premier ministre Carney que son prédécesseur, M. Trudeau, qu'il ramenait au rang de gouverneur. Il n'y a rien eu de tout ça. J'ai l'impression qu'une relation professionnelle bilatérale s'est établie entre les deux leaders. Y a-t-il quelque chose qui devrait nous inquiéter?
FRANK MCKENNA : Non, tout ce que vous dites est vrai. J'aime la façon dont le dialogue se déroule actuellement. Il semble y avoir des adultes dans la pièce pour gérer les grands dossiers, et je pense qu'on fait preuve de respect partout au pays. Le président se rend compte qu'il y a toujours deux côtés à une médaille, et je pense aussi que les États-Unis comprennent que le Canada possède des munitions si on entre dans une guerre commerciale. Je pense qu'on est très bien armés. On est la ferme qui approvisionne le supermarché. On fournit quantité de matières premières aux États-Unis. Et je pense que les gens raisonnables commencent à comprendre qu'on est vraiment des égaux et des partenaires. Nous ne sommes pas des mendiants dans cette relation. Les États-Unis auraient tout intérêt à bâtir une forteresse nord-américaine plutôt que de s'isoler.
PETER HAYNES : Oui, il y a beaucoup de chambres d'hôtel inoccupées dans les États frontaliers. De plus en plus de gouverneurs s'inquiètent de voir que le Canada abandonne les États-Unis pour des raisons évidentes. Très bien, Frank, j'enchaîne avec les Blue Jays. Mardi dernier, j'ai assisté au match des Blue Jays contre l'Arizona. C'était la première fois que j'allais au Rogers Center cette année. Dans ce match, si vous vous souvenez, Bo Bichette et Addison Barger ont frappé des circuits consécutifs et mis fin à la neuvième manche. J'étais sur un nuage en quittant le stade. Mais depuis, on a perdu trois des quatre derniers matchs, y compris une série contre la pire équipe de la Ligne américaine, les White Sox de Chicago. Il n'y a que le pape pour les encourager. Les titres de la division Est et de meilleur deuxième dans l'Américaine sont en jeu. Je pense qu'il y a neuf équipes à six matchs et demi, notamment Baltimore. Croyez-vous qu'on peut faire les séries?
FRANK MCKENNA : Oui. J'aime bien la formation actuelle. Des joueurs comme Bichette et Clement frappent pour plus de 0,300. Borchard enfile les coups sûrs de plus d'un but. Guerrero et Bichette se sont mis à suivre l'exemple. Je pense aussi à Springer et à Kirk. L'ensemble de la formation est solide. Sans même parler de Varsho et Santander pour le moment. Côté offensif, j'aime comment l'équipe se comporte. On voit la créativité de joueurs comme Straw, Clase, etc. Oui, j'aime comment ça se passe. La seule chose qui m'inquiète de plus en plus, c'est le monticule. Gausman est un excellent lanceur, mais il a connu des sorties difficiles, et Hoffman n'est pas entièrement fiable. On a besoin d'un ou deux autres lanceurs partants; au moins Scherzer, j'espère, et peut-être un autre. Sinon, il faut s'attendre à avoir des problèmes. Mais j'aime le profil de notre équipe, et je pense qu'on va faire les séries.
PETER HAYNES : Je suis d'accord, Scherzer brouille les cartes. Son rôle est très important. Hier, j'ai proposé à un ami de Philadelphie d'échanger Hoffman aux Phillies contre un seau de balles amochées. Il n'a pas mordu. Il veut nous refiler Romano parce qu'il est inutile à Philadelphie. On n'a pas fait un très bon coup, dans les deux cas. Je suis d'accord. Je m'inquiète beaucoup de nos meilleurs releveurs. On ne peut pas continuer à perdre des matchs comme celui de dimanche. Il faut battre Chicago, et Hoffman a souvent été dans la mire au cours des dernières défaites. Le mois prochain, Frank, on va se reparler juste avant la date limite des échanges. D'ici là, je vous invite à réfléchir aux échanges que vous aimeriez voir chez les Blue Jays.
Ça devrait être intéressant. Le départ de Rafael Devers avantage probablement la division Est dans l'Américaine, on verra. Mais quel gâchis à Boston, où les partisans se demandent comment on peut se départir d'un frappeur parmi les dix meilleurs en retour de si peu. Voilà un bel exemple de dossier mal géré. Et les deux parties ont leurs torts. Très bien. Le mois prochain, on va parler des échanges réalisés à la date limite. Et j'espère d'ici là que les points chauds dans le monde auront un peu baissé en température. La discussion s'annonce intéressante. Encore une fois, félicitations à vous et à Julie pour l'annonce que vous ferez aujourd'hui à Miramichi. Bon séjour là-bas. Merci.
FRANK MCKENNA : Merci.
PETER HAYNES : Merci d'avoir écouté Géopolitique. Ce balado de Valeurs Mobilières TD est offert à titre informatif. Les opinions qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs. Elles ne représentent pas nécessairement le point de vue de la TD ou de ses filiales et ne constituent pas des conseils auxquels se fier, notamment en matière de placement ou de fiscalité. [MUSIQUE]
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Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
À titre de président suppléant, Frank a pour mandat de soutenir l’expansion soutenue de Valeurs Mobilières TD à l’échelle mondiale. Il est membre de la direction du Groupe Banque TD depuis 2006 et a été premier ministre du Nouveau-Brunswick et ambassadeur du Canada aux États-Unis.
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter s’est joint à Valeurs Mobilières TD en juin 1995 et dirige actuellement notre équipe Recherche, Structure des marchés et indices. Il gère également certaines relations clés avec les clients institutionnels dans la salle des marchés et anime deux séries de balados, l’une sur la structure des marchés et l’autre sur la géopolitique. Il a commencé sa carrière à la Bourse de Toronto au sein du service de marketing des indices et des produits dérivés avant de rejoindre Le Crédit Lyonnais (LCL) à Montréal. Membre des comités consultatifs sur les indices américains, canadiens et mondiaux de S&P, Peter a siégé pendant quatre ans au comité consultatif sur la structure du marché de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.